Un transfert de maternité aux confins du fantastique. Une découverte étonnante.
Voilà typiquement le genre de film dont on n’attend rien de spécial (dans la torpeur des congés estivaux, on avait manqué son accueil favorable à Locarno) et dont on ressort emballé, émerveillé. Nous sommes à São Paulo où Clara, infirmière à domicile, est engagée par Ana, jeune femme enceinte, pour surveiller sa grossesse et s’occuper de l’enfant à venir. Clara est noire et pauvre, Ana est blanche et riche et on semble s’embarquer dans un mélo à substrat politico-social, façon Douglas Sirk.
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On pense d’autant plus à Sirk que le film arbore une touche Technicolor et baroque, tant par la déco étrange de l’appartement que par le traitement chromatique (dominante bleue et froide chez les bourgeois, rouge et chaude dans les favelas). Mais il apparaît que Clara et Ana se lient d’amitié, voire éprouvent une affection plus profonde. Ana va accoucher dans de telles conditions et convulsions qu’elle en meure.
Tout le film fonctionne ainsi par une suite de surprises scénaristiques et de glissements de genre, tandis que le couple de réalisateurs ne se départ pas de sa précision visuelle “ligne claire” et de sa colorimétrie, baignant la ville dans de beaux clairs-obscurs pop qui sont comme une équivalence du tropicalisme.
Suite au décès d’Ana, Clara recueille le bébé et l’élève. Un nouveau chapitre s’ouvre, Les Bonnes Manières mute une fois encore et, sous les auspices du fantastique, délivre un portrait exact et déchirant de l’adolescence, de la puberté, de ses humeurs changeantes qui font que les 13-18 ans peuvent être tour à tour les plus doux agneaux et les loups les plus teigneux.
En 2011, Juliana Rojas et Marco Dutra ont présenté leur premier film, Travailler fatigue, à Cannes. Rojas a aussi réalisé une comédie musicale, écrit pour la série Netflix 3 %, alors que Dutra a signé un film d’horreur et un thriller. Réunis à nouveau pour Les Bonnes Manières, ils livrent un film envoûtant qui mêle avec une aisance bluffante l’effroi et l’émotion, l’observation sociale et l’investigation intimiste, le regard politique et le pur fantastique, le tout avec un style très personnel dont la cohérence unifie les embardées du récit et les ruptures de tonalité. Inventivité, surprises, maîtrise, Les Bonnes Manières ne ressemble à rien de ce que l’on a vu récemment. Bref, le grand chelem.
Les Bonnes Manières de Juliana Rojas et Marco Dutra (Bré., Fr., 2018, 2 h 15)
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