Tim Roth, acteur et réalisateur
Quel est ton premier souvenir de cinéma ?
C’est un souvenir de coups de feu : ceux que reçoit Robert Redford dans L’Arnaque. J’étais allé au cinéma pour la première fois de ma vie avec mon père, dans une salle du sud de Londres je ne devais pas être bien vieux. Quand Redford se fait descendre, toute la salle a poussé une espèce de gémissement collectif, quelque chose de rauque, de sourd, mais très puissant. Pour la première fois, j’ai ressenti la force du cinéma.
C’est une sensation qui est restée gravée en moi : je me suis dit « Quelle chose étonnante qu’un film capable de faire gémir toute une salle pour un héros inventé de toutes pièces ! » Mes autres souvenirs liés à l’enfance ont presque tous pour cadre une salle de Brixton, à Londres, où j’allais en cachette avec mes copains pour les séances du dimanche matin. On y voyait des pastiches de Tarzan italiens en version doublée, ce genre de choses, mais que je vivais très intensément.
Quels ont été plus tard les films qui t’ont poussé à devenir acteur ?
Les 400 coups de François Truffaut, The Enigma of Kaspar Hauser de Werner Herzog, donc des films très différents de ce que j’avais vu auparavant. Mais le cinéma restait pour moi un rêve impossible, un fantasme intouchable. Pourtant, je me rappelle avoir fait l’acteur dès l’âge de 7 ou 8 ans, dans les rues de mon quartier, avec mes copains. Je faisais des efforts infinis sur l’allure, la démarche, je voulais avoir l’air cool, ressembler à un jeune Marlon Brando, ou dans un autre style, à un jeune Cary Grant, sans doute l’acteur qui me fascinait le plus. Aujourd’hui encore, je trouve époustouflante sa capacité à être si beau et sophistiqué à l’écran, tout en étant extrêmement bon acteur. Mes autres idoles successives ont été Spencer Tracy et Humphrey Bogart, puis beaucoup plus tard, Klaus Kinski je l’adorais avant de savoir quel genre de type il était, aujourd’hui, je ne peux plus regarder aucun de ses films… Adolescent, mes copains et moi étions très preneurs de cinéma français. Dès qu’on en passait un dans une salle de Londres, on s’y précipitait. Pas pour l’histoire, mais parce que dans les films français, on avait toutes les chances de voir des nichons (sourire)…
Question aussi rituelle qu’impossible : si tu ne devais garder qu’un film…
Ce n’est pas le plus grand film que j’aie vu, mais un de mes préférés : Le Voyeur, de Michael Powell. Un film si dur, si différent, accueilli en 1960 avec une telle violence que son réalisateur a connu ensuite d’énormes problèmes pour travailler. Clairement, le public et la critique n’étaient pas prêts à voir un tel film… Lorsque je travaille comme acteur avec un ou une jeune cinéaste, je leur offre toujours une copie de Le Voyeur et un exemplaire du livre des entretiens d’Alfred Hitchcock par François Truffaut. Voilà le cadeau que je leur remets le tout premier jour, en leur souhaitant bonne chance… Si je repense plus longuement à cette question et que je m’efforce de dépasser les personnalités que je vénère Bresson, Tarkovski, Pasolini, Herzog , je suis évidemment tenté de dire deux mots sur Citizen Kane, un film qui me fascine d’autant plus qu’il a été imaginé, construit et joué par un Orson Welles en totale possession de ses moyens. Qu’un cinéaste puisse s’investir à ce point, donner autant de lui-même sans rien renier de sa lucidité, de son sang-froid, me paraît incroyable.
Quelle est la musique qui accompagne ta vie ?
En voiture, j’écoute de la musique classique, à la radio. Pas de musique pop, peu de rock, peu de rap. Parce que rien ne sera jamais aussi fort que mes souvenirs d’adolescence à Londres, lorsque nous allions voir les Sex Pistols et les Clash en concert… Aujourd’hui, j’aime bien Rage Against The Machine et je continue d’écouter mes disques des Butthole Surfers et des Pixies un très grand groupe.
Quels sont les livres qui t’ont le plus marqué ?
Je détestais l’école, mais heureusement pour moi, certaines personnes à l’intérieur de l’école et pas seulement des profs m’ont soutenu, donné des envies de culture… Parmi ces livres, il y avait En attendant Godot de Samuel Beckett, que je me souviens avoir lu vingt-cinq fois en quelques mois. J’avais 14 ans et je pouvais le réciter du début à la fin… Je suis aussi très attaché à Méridien de sang de Cormac McCarthy, un livre envoûtant. J’adore également Martin Amis, en particulier La Flèche du temps, et j’aime bien relire La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole, un auteur qui n’a jamais réussi à se faire publier de son vivant et a fini par se suicider. Avant d’obtenir le prix Pulitzer à titre posthume.
En te nourrissant de films et de livres, as-tu acquis la certitude que tout pouvait être écrit ou montré ? En voyant The War zone, qui parle de l’inceste et a provoqué certaines réactions critiques très vives, on a le sentiment que tout te semble montrable.
Si l’on a besoin de montrer quelque chose, qu’on ne le fait pas gratuitement, alors oui, tout me semble montrable. Ce film, je l’ai réalisé pour des raisons très personnelles, quelque chose d’intime… Avant de le faire, je me suis posé toutes les questions nécessaires sur ma responsabilité de cinéaste, d’homme. Je sais que j’étais la bonne personne pour faire ce film et que je n’ai de leçon à recevoir de personne. Par contre, je suis prêt à en parler, de manière constructive, intelligente, à quiconque. Mais ceux qui attaquent mon film si durement ont-ils envie de me parler ?
Propos recueillis par Emmanuel Tellier
The War zone, premier film réalisé par Tim Roth, sort ce mercredi (26 janvier). Acteur, entre autres, dans Little Odessa, Tout le monde dit I love you, Pulp fiction ou Reservoir dogs.
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