On vous sait grand lecteur : qui sont les écrivains qui ont marqué votre vie ? Faulkner, Borges et Tolstoï. Faulkner pour la passion et les longs paragraphes, la maîtrise du langage et de la structure. Borges pour l’intelligence et l’utilisation parfaite de l’espagnol. Enfin, Tolstoï pour ses portraits du monde… Quand je me suis […]
On vous sait grand lecteur : qui sont les écrivains qui ont marqué votre vie ?
Faulkner, Borges et Tolstoï. Faulkner pour la passion et les longs paragraphes, la maîtrise du langage et de la structure. Borges pour l’intelligence et l’utilisation parfaite de l’espagnol. Enfin, Tolstoï pour ses portraits du monde… Quand je me suis intéressé à la mise en scène, je voulais absolument utiliser toutes mes nourritures culturelles dans mes films, je me forçais à lire « utile ». Et puis, petit à petit, je me suis calmé et je lis désormais avant tout pour le plaisir de l’instant.
Quels sont vos films préférés ?
Nazarin de Luis Buñuel et La Chevauchée fantastique de John Ford sont les deux films qui m’ont fait le plus trembler. Chez Buñuel, vous comprenez l’éthique, et chez Ford, l’esthétique… J’ai bien connu Buñuel, et ce qui était fascinant à observer chez lui, c’était son engagement total dans le travail. Son besoin désespéré de ne pas se trahir. Il s’est trahi souvent bien sûr, mais au moins il en était toujours conscient. L’enseignement que je tire des années passées à ses côtés est d’ordre éthique, moral. Comment le travail doit passer avant tout. Comment toute votre vie doit tendre vers votre oeuvre. Sans compromissions. Et si je parle d’enseignement esthétique avec John Ford, c’est qu’en voyant ses films, j’ai appris où mettre la caméra, où couper, quoi faire avec les acteurs. C’est l’artisanat du cinéma.
Partagez-vous les orientations politiques de Ford ?
Pas du tout, mais je partage son cinéma, ce qui est tellement plus important. Si vous dépassez ses opinions sans doute trop à droite , alors vous pouvez apprécier l’un des plus merveilleux cinémas qui soient.
Vous avez lu Céline ?
C’est la même chose : Voyage au bout de la nuit est un cauchemar inoubliable. Même si vous ne partagez pas les idées politiques de Céline, le plaisir qu’il vous donne est infiniment supérieur à son propos éventuel.
Vous avez tourné un remake du film culte de Leonard Kastle, Honeymoon killers. Vous souvenez-vous de la première fois où vous l’avez vu ?
J’avais été submergé, sidéré : pas seulement par les images mais aussi par l’utilisation du son, de la musique, par le jeu des acteurs. Je l’ai vu dans un petit cinéma : nous devions être à peine cinq dans la salle. J’ai alors décidé de tourner mon propre film sur le même sujet, en pensant que de toute façon personne n’avait vu la version de Leonard Kastle. Or, au moment où mon film est sorti, j’ai découvert que des tas de gens le connaissaient très bien. Bernardo Bertolucci m’a même dit que c’était son film préféré ! Mais vous connaissez le proverbe : « Les amateurs rendent hommage alors que les professionnels volent.« Je ne me suis donc pas gêné pour voler. Il faut savoir voler.
Ecoutez-vous de la musique en pensant à la BO de vos films ou de manière plus gratuite ?
Je suis assez inculte en musique. J’en écoute comme un enfant, sans obligation. J’aime seulement ce que j’aime, et pas ce que je devrais aimer. J’aime écouter les disques de Lotte Lenya et Marlène Dietrich, mais aussi Verdi et Puccini. Finalement, que ce soit avec les livres, les films ou la musique, j’en reviens toujours à ça. Qu’est-ce qui va me donner du plaisir ? C’est pourquoi, quand je lis des critiques, je considère que c’est celui qui aime qui a raison.
La musique est toujours cruciale dans vos films.
Elle l’est devenue, oui. Je ne l’utilise jamais en fond sonore pour prendre le spectateur par la main et lui faire ressentir telle ou telle émotion. Je ressentirais ça comme une démission de la mise en scène. Non, j’utilise plutôt la musique au premier plan, par des morceaux très précis. Pour moi, la musique fait partie du côté visuel du film.
Vous intéressez-vous à la peinture ?
Oui, mais la peinture est un art tellement vieux qu’il faudrait citer beaucoup de monde pour être juste. Depuis les peintures préhistoriques, en passant par toute l’histoire de l’humanité. Mais s’il ne fallait en citer qu’un, je dirais Marcel Duchamp parce que c’est le triomphe de l’intelligence. Ce n’est pas seulement de la provocation ou une rupture artistique.
Peut-on rapprocher Buñuel de Duchamp ?
Oui, bien sûr, ils avaient tous les deux l’intelligence des cauchemars.
On pourrait dire la même chose de votre travail : vous ne cherchez pas à ménager le spectateur.
Picasso a dit un jour : « L’art est dangereux. » J’ai tenté de coller le plus près possible à cette idée. L’art vous confronte à vous-même, c’est la seule possibilité d’endurance et de connaissance. L’art est brutal et sauvage. L’art n’a pas d’éthique. Pour moi, le cinéma est inévitable.
Olivier Nicklaus