Inédits, nouveautés, intégrale DVD : retour au premier plan et à son meilleur de Werner Herzog, héraut du cinéma allemand seventies.
Depuis dix ans, Werner Herzog n’en finit plus de ressusciter. On n’arrête pas de le réhabiliter, de le rééditer et de l’honorer. Coffret DVD en 2004, intégrale au Centre Pompidou en 2008. Décembre 2014 : sortie en salle de La Soufrière (1977) et de Gasherbrum, la montagne lumineuse (1984), deux documentaires aussi vertigineux qu’inédits, couplés sous le titre Les Ascensions de Werner Herzog, qui servent de produit d’appel à une intégrale (ou presque) du cinéaste subdivisée en quatre coffrets DVD, dont le premier sort aujourd’hui.
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Le grand visionnaire allemand
Jusqu’à peu, le cinéaste allemand était encore assez tricard dans la sphère cinéphile, qui l’a souvent pris et jeté sans ménagement. Elle commence à peine à comprendre qu’elle avait misé sur un mauvais cheval (Wim Wenders, cassandre embourbé dans son moralisme), alors que Herzog, condottiere de l’impossible, trop confondu avec l’un de ses acteurs fétiches, Klaus Kinski (Aguirre, Nosferatu, Fitzcarraldo), était le grand visionnaire allemand.
Démiurge total, énigme vivante, à la fois froid et délirant, obsessionnel et détaché, sportif et mystique, inconscient et décidé. Son caractère insaisissable, inassimilable à un registre précis, explique la perplexité de certains face à une œuvre composée en grande partie de documentaires peu diffusés. Idem pour ses fictions. Si beaucoup se sont extasiés sur son remake psychotique, en 2009, du Bad Lieutenant d’Abel Ferrara, porté par un Nicolas Cage halluciné, peu d’entre eux avaient vu sa fiction précédente, Invincible (2002). Certaines n’ont même pas eu droit à une sortie en salle (Rescue Dawn avec Christian Bale, en 2006, ou Dans l’œil d’un tueur, coproduit par David Lynch, en 2009).
Des “documentaires” déguisés
En apparence hétérogène, flirtant avec la folie et le primitivisme, l’œuvre d’Herzog questionne constamment la place de l’homme occidental dans le monde. Et ce, dès son premier court métrage, tourné à 19 ans, Herakles (1962), qui oppose à la perfection physique (des culturistes) le chaos de la civilisation industrielle (déchets, explosions, accidents). La plupart du temps, il filme ses fictions comme des documentaires (cf. Aguirre, la colère de Dieu, film d’anti-action guerrière de 1972) et il introduit de la fiction dans ses documentaires. “Mes ‘documentaires’ – s’il vous plaît, mettez le mot documentaire entre guillemets –, dit-il, sont déguisés. Ils ont l’air d’être des documentaires mais ne le sont pas tout à fait.”
Il faut souligner les correspondances discrètes mais multiples à l’intérieur de l’œuvre éclatée d’Herzog. Prenons L’Enigme de Kaspar Hauser (1974), un de ses rares films allemands, sur le cas réel d’un “enfant sauvage” découvert à 16 ans, en 1828, aphasique, vierge de tout contact avec l’humanité. Non seulement ce film inclut un lilliputien issu des Nains aussi ont commencé petits (1970), mais sur son lit de mort Kaspar H. narre une vision située dans le désert, qui rappelle illico le film-trip Fata Morgana (1971). Idem pour le documentaire Le Pays du silence et de l’obscurité (1971), sur les rencontres et expériences d’une femme sourde et aveugle, à qui Herzog prête des souvenirs imaginaires de saut à ski. Cela annonce La Grande Extase du sculpteur de bois Steiner (titre piège), en 1974, dont le héros est un sauteur à ski.
Mais la confusion peut aller encore plus loin. Voir ses essais barrés, Fata Morgana, Leçons de ténèbre (1992) et The Wild Blue Yonder (2005), qu’Herzog classe sans sourciller dans la science-fiction. Fata Morgana, qui débute avec d’incessants décollages d’avions, est la plus planante des dérives jamais filmées dans le désert africain, accompagnée par la voix étrange de Lotte Eisner, grande amie historienne d’Herzog et de Fritz Lang, qui déclame “le Popol Vuh, texte sacré des Indiens mayas du Guatemala, sur l’origine du monde et d’autres grands mythes. Lotte Eisner lit la partie de la Création et deux autres voix font le Paradis et l’Age d’or. Ce film n’a pas de précédent. Personne n’a fait de film comme celui-là, ni avant ni après. Il a sa propre forme” (dixit Herzog).
Si on peut parler de contemplation avec Fata Morgana, Leçons de ténèbre, tourné dans les champs de pétrole en feu du Koweït pendant la Guerre du Golfe, a causé des remous, certains taxant de romantisme néronien cette apothéose du désastre, parfois accompagnée par des airs wagnériens – tout comme d’autres traiteront Herzog de nietzschéen de droite. C’est typique de l’incompréhension régulièrement rencontrée par ce réalisateur sans limites et hors limites, qui se refuse à commenter l’actualité et les questions sociales.
“Les sujets politiques devraient être traités ailleurs, à mon avis. Par exemple dans les journaux ou à la télévision. Ils appartiennent à ceux qui prennent un micro et parlent directement aux gens”, dit le cinéaste. Visionnaire mais pas voyeur, Herzog est un médium. C’est pour cela qu’il est incapable d’expliquer clairement d’où lui est venue l’idée des nains allemands en furie sur une île des Canaries. Pourtant, voilà bien une fable politique. La plus cinglante de toutes.
Werner Herzog, l’intégrale jusqu’au 13 janvier au festival Augenblick, Strasbourg.
Rétrospective Werner Herzog jusqu’au 20 janvier au Cinéma Grand Action, Paris Vème
Werner Herzog – Volume 1 (1962-1974) (DVD Potemkine films, agnès b) environ 60 euros.
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