Fraîchement débarqué à Hollywood, Alfred Hitchcock tourne Rebecca, La Maison du docteur Edwardes, Les Enchaînés et Le Procès Paradine avec le producteur d’Autant en emporte le vent.
Quand un producteur américain et tyrannique (David O. Selznick) rencontre un cinéaste anglais et maniaque (Alfred Hitchcock), cela donne quatre films aux allures de contes de fées : Rebecca, La Maison du docteur Edwardes, Les Enchaînés et Le Procès Paradine.
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On y croise Cendrillon sous les traits fébriles de Joan Fontaine (Rebecca), une Belle au bois dormant réveillée par les baisers de Cary Grant (Les Enchaînés), une princesse amoureuse de son valet (Le Procès Paradine). Quant à La Maison du docteur Edwardes, comme le dit si bien Nicolas Saada dans les bonus, “Hitchcock filme Gregory Peck comme il filmerait une actrice” : emprisonné dans son amnésie, il sera délivré par une psychanalyste éprise de lui.
On est au début des années 1940. Alfred Hitchcock, imprégné d’expressionnisme allemand, édicte les règles du film gothique où chaque mouvement de l’âme s’incarne : des manoirs, des portes fermées à double tour, de grands portraits qui nous toisent, des clés qu’on subtilise et d’amples escaliers qu’on monte sur la pointe des pieds.
Films gothiques et vertiges à venir
Dans Rebecca et Le Procès Paradine, les êtres qui nous hantent sont comme des maisons trop grandes et trop froides qu’on visite. Dans La Maison du docteur Edwardes, un premier baiser ouvre une succession de portes dans l’âme d’Ingrid Bergman.
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Et puis, une certaine qualité de regard traverse ces quatre films, comme si tous les acteurs de la période Hitchcock-Selznick s’étaient passé le mot : un regard absent qui fixe un point dans le vide tandis qu’un autre être tente de le rendre au présent.
Mauvais rêves et inquiétante étrangeté
On pense à Hantise de Cukor, aux films de Jacques Tourneur produits par Val Lewton, au Secret derrière la porte de Fritz Lang ou à Laura de Preminger. Et si le film gothique des années 1940 n’avait été qu’un prétexte à des variations sur des regards absents et des âmes qui ne se possèdent plus ? Ou pour le dire autrement : des acteurs obsédés ou vampirisés par d’autres acteurs ?
Revisiter l’association entre Hitchcock et Selznick, c’est aussi réaliser qu’elle constitue une série d’études préparatoires pour Vertigo. Les renvois sont nombreux : le rêve figuré par Dalí dans La Maison… évoque celui de Ferguson ; Rebecca évoque Madeleine ; et Joan Fontaine serait Judy, cette fille de basse extraction écrasée par le souvenir d’une morte distinguée. L’étrangeté de Vertigo s’expliquerait donc par le fait qu’il s’agit d’une dernière tentative de film gothique à une époque où le cinéma est passé à autre chose.
A partir de la période américaine, beaucoup des films d’Hitchcock peuvent se résumer à une idée très simple : un homme et une femme sont dans un mauvais rêve, un cauchemar qu’ils doivent traverser ensemble s’ils veulent se retrouver (et se réveiller).
C’est la merveilleuse dernière réplique du Procès Paradine, dont le prosaïsme dissipe toutes les ombres et nous réveille auprès de l’être aimé – un réveil qu’aurait voulu connaître le héros de Vertigo. Epuisée comme son mari par un procès qui a failli les séparer, Ann Todd caresse la joue de Gregory Peck et lui glisse avec tendresse : “En attendant, tu aurais besoin de te raser.” Murielle Joudet
DVD, Blu-Ray Alfred Hitchcock, les années Selznick (Carlotta), 100 €
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