A l’affiche des Garçons sauvages (2017), de La Loi de la jungle (2016) ou de Comme un avion (2015), Vimala Pons a aussi marqué la décennie sur les planches grâce à Grande (2017) conçu avec Tsirihaka Harrivel.
En quoi les années 2010 vous ont-elles changée ?
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Je crois que c’est la phrase de mon ophtalmologue, docteur Vert qui m’a dit un jour d’octobre 2016 très exactement : « Madame, vous n’avez plus de larmes et celles qui vous restent sont de très mauvaise qualité. » La prescription : « Maxidrol 1 fois par jour pendant 5 jours. » Et finalement, parallèlement à ça, je me rappelle qu’en 2011 je me disais, plus ou moins secrètement : « Je ne veux pas être triste parce que c’est plus facile, et moins drôle. »
Avec le recul, je me dis qu’il y a peut-être un lien. Ajouté à cela, la nuit du 21 mars, à Lyon, j’ai rêvé d’un petit pépé farceur qui voulait à tout prix faire du scooter, il me semblait donc normal d’aller lui en louer un immédiatement. Ensuite, et sans aucune continuité, je me retrouvais dans la cuisine de Laurent Jalabert (qui est vraiment le cousin de mon père) et soudainement, je suis à Venise, à Santa Croce, et, au loin, je vois sur une route ocre, le petit pépé farceur s’avancer vers moi extrêmement lentement avec son scooter de location.
Il est beau ce pépé et je l’attends. Ça dure très longtemps. Finalement, le bruit du scooter est subitement devant mon visage et le pépé me dit en se mettant sur la pointe de ses pieds rectangulaires : « L’amour, c’est faire grandir en soi une chose qui protège l’autre de soi-même. »
Que retenez-vous des années 2010 à titre collectif ?
Je n’aime pas les collectifs. J’aime les équipes, et surtout les équipées. Je ne suis pas une penseuse, je ne suis pas une scientifique malheureusement, et heureusement pour tout le monde. Mais, de manière intuitive, je sens que les nouveaux maîtres du monde ne cherchent même plus à créer des mensonges que l’on appellerait religion ou mythologies ou tradition séculaire, le pouvoir utilise maintenant le mensonge sans fard, sans même l’orner d’agrément en stuc. Comme dans l’ancien principe du « show-télé-réalité » ou des très actuelles « vies-idéales-instagrammées » : on sait tous que c’est scénarisé, mais on fait comme si c’était la réalité – mais sans se le dire.
D’où la nécessité, plus que jamais, de fictions artistiques assumées, de catharsis conscientes et pas larvées. J’ai trouvé que cette décennie 10 a cherché à lutter avec et contre ce, en isolant la seule chose qui nous appartient : l’agencement ou la composition. Finalement, rien de neuf en soi, mais une réorganisation de choses ancestrales mises au même niveau : avoir peur, attendre derrière une porte, courir, coincer sa fermeture Éclair au mauvais moment, penser bien faire, chuter dans une cuisine Ikea, comprendre que dans la vie il y a ce que l’on veut et ce dont on a besoin : on ne peut pas avoir les deux à moins d’être très chanceux, faire tomber une pièce de monnaie qui roule trop loin, pleurer comme un enfant quand ses parents s’en vont… C’est un travail de longue haleine d’organiser ses sensations pour les présenter à d’autres, et que, peut-être, un morceau de ce canevas sensible puisse leur parler.
Comment envisagez-vous les années 2020 ?
En 2019, j’ai remarqué que le temps use la conscience, comme il use la matière. Tout ce qui dure, s’effrite, dégénère et finit par dépérir, bon. Mais il ne s’agit pas de se battre contre ça précisément ; sinon autant essayer de se sécher avec une serviette-éponge sèche, dans une piscine. Il s’agit probablement juste d’être à l’affût des noyaux énergétiques de régénération de nos forces vitales, mentales et physiques. Mais comment ? Je place une partie de mon espérance dans la pratique de la Fête. De la Fête « Archaïque », la vraie. Celle d’avant la séparation de l’Eglise et de l’Etat et de la création de l’avion qui a tué la verticalité et donc les mystères du ciel.
Cet état d’esprit de fête ancestral que l’on retrouve dans la contre-culture, ou dans la fête des morts au Mexique, et qui précisément, propose de s’arracher au « mondain », pour mieux s’ancrer en soi-même, et pouvoir revenir à un quotidien recharger de sens. Une sorte de shoot d’éternité avec une aptitude quasi-thérapeutique. Il faudrait de vraies fêtes remboursées par la Sécu afin certainement d’éviter, et ça je l’ai lu dans « Le Tout va Bien 2019 », que l’on finisse par avoir envie comme un jeune homme de 19 ans dans le Missouri, de mettre du LSD dans le café de nos collègues pour combattre leurs « énergies négatives ». L’aptitude du « jeu » à redonner goût au sérieux ou à évacuer les humeurs est essentielle pour l’équilibre psychique. Le temps de la Fête est un temps où l’on joue autre chose que soi-même et, honnêtement, ça fait du bien une bonne récréation de soi-même, non ?
La revalorisation profonde de la Fête comme acte spirituel, et pas comme attroupement bruyant chassé par les milices de quartiers qui cantonne la fête moderne à une fuite, à l’idée de s’oublier, de rompre avec le temps, de « se la coller » me paraît assez important, justement parce que ça ne paraît pas l’être. Sinon, si ça ne marche pas, je pensais rejoindre l’équipe des gros nazes qui ont construit le pot de crème Nivéa de plus de 2 mètres de diamètre en 2001, c’était une autre époque.
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