Film mal aimé d’Hitchcock, désastre financier à sa sortie, Les Amants du Capricorne demeure une étude passionnée du visage tressaillant d’Ingrid Bergman.
Qu’est-ce qui pousse les cinéastes (Cukor, Rossellini, Hitchcock) à mettre aussi souvent Ingrid Bergman à l’épreuve ? Pourquoi tiennent-ils autant à l’épuiser ? Dans ses mémoires, l’actrice se rappelle le tournage des Amants du Capricorne, dernier film tourné avec Hitchcock avant d’aller rejoindre Rossellini en Italie.Bergman donc : “L’autre jour, j’ai éclaté. La caméra devait me suivre pendant onze minutes, ce qui signifie qu’on a dû répéter pendant une journée entière, avec des décors et des meubles qui se retiraient à mesure que la caméra avançait, ce qui évidemment ne pouvait se faire assez vite. Alors j’ai tout dit à Hitch. Que je détestais sa nouvelle technique. Que chaque minute passée sur la plateau était pour moi un vrai supplice.”
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Si Hitchcock pousse les meubles, dans un film qui systématise le plan-séquence jusqu’à éreinter ses acteurs, c’est (souvent) pour ne rien perdre du moindre tressaillement sur le visage de son actrice qui incarne lady Henrietta, femme sous influence, fébrile, alcoolisée, de mauvaise vie. A peu près le rôle qu’elle tenait déjà dans Les Enchaînés, celle d’une pécheresse et d’une sainte, mélange improbable de Jeanne d’Arc (qui obsède l’actrice depuis toujours) et de Mata Hari, perdue dans un monde d’hommes comme dans un labyrinthe dont il faut s’extirper. Les Amants du Capricorne, et juste avant Les Enchaînés et La Maison du Docteur Edwardes, puis plus tard Rossellini : quand on filme Bergman, on la traque.
Les films, qu’on lui offre comme des cadeaux, sont en fait des pièges. Avec une fascination destructrice, Hitchcock sonde son visage, le dissèque au plan-séquence, “c’est lui que l’objectif scrute, fouille, tantôt burine, tantôt adoucit. C’est à lui que va l’hommage des plus belles trouvailles”, écrivent Rohmer et Chabrol à propos des Amants. Ce “grand film malade”, comme disait Truffaut, et qui fut le plus gros échec de la carrière de Hitchcock, est l’écrin d’un récit secret, qui aujourd’hui saute aux yeux. Si on gratte le vernis du film ingrat à costumes, si on regarde derrière cette histoire d’amour et de vampirisme où chaque être est hanté par un autre, se révèle l’histoire d’un visage. En une fraction de seconde le visage d’Ingrid Bergman résiste et ploie, ploie et résiste, semble à la fois au bord de l’extinction et de la rémission. Le “gros plan bergmanien” formule cette lutte à mort symbolique entre un cinéaste et une actrice. Formule, toujours sur le terrain de la fiction, un étrange pacte sado-masochiste où un regard de cinéaste cherche toujours à détruire ce qu’il aime… pour mieux voler à son secours.
Les Amants du Capricorne d’Alfred Hitchcock (E.-U., 1949, 1 h 57, reprise)
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