Avec “Les Amandiers”, Valeria Bruni Tedeschi met en scène une troupe de jeunes comédiens et comédiennes. La cinéaste et actrice invoque l’héritage de Patrice Chéreau et regarde son passé pour mieux embrasser le présent dans un tourbillon de sentiments. L’un des plus beaux films de l’année.
“Je veux mourir malheureux pour ne rien regretter.” Une voiture lancée à toute allure dans les rues de Paris. À son bord, un petit groupe agité et heureux chante haut et fort, pris par le vertige de la vitesse et du danger, les mots du bel écorché et Chanteur romantique de Daniel Balavoine. Entre l’intensité du moment, sa joie, sa brièveté et la menace d’un accident, la séquence contient la vie et la mort, Eros et Thanatos, puissances contraires qui forment le motif premier de la filmographie de Valeria Bruni Tedeschi, dont l’élégance a toujours résidé dans le face à face frontal du léger et du grave.
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Avec Les Amandiers, l’obsession est reconduite, mais d’une façon nouvelle, quasi organique. Dans ce nouveau chapitre de sa vie, l’actrice et cinéaste, qui n’a eu de cesse au fil de ses films de pétrir son moi pour l’incorporer à des fictions fantasques mais toujours hantées par la perte, s’absente pour la première fois de l’écran.
Une machine à remonter le temps
Elle laisse ainsi place à une bande de jeunes gens, comédiens et comédiennes fabuleux (Nadia Tereszkiewicz, Sofiane Bennacer mais tous les autres aussi), missionné·es pour être les élèves de ce haut lieu de modernité qu’a représenté le théâtre et l’école des Amandiers de Patrice Chéreau (ici Louis Garrel, génie d’invocation plutôt qu’imitation) et Pierre Romans (charme fou de Micha Lescot), dont Valeria Bruni Tedeschi a été l’élève à la fin des années 1980.
Pourtant, Les Amandiers n’est ni une hagiographie, ni une nostalgie et ne se substitue pas au regard ému d’une autrice sur le temps vibrant de son passé. Il convoque certes une époque, la matérialise par des sons (une B.O. géniale), des couleurs texturées, par cette insouciance très vite malmenée par l’épidémie naissante du sida, par ces brouillards épais de cigarettes et ce rapport décomplexé aux drogues et à toute forme d’autorité.
Mais il est aussi et surtout un grand film au présent, de maintenant, un film de jeunesse. Parce que Les Amandiers agit comme une machine à remonter le temps, qui se serait changée en un accélérateur de particules et nous ferait éprouver tous les sentiments, tous les états en deux heures de projection – une expérience renversante, électrisante avec picotements sous la peau.
La vie par le jeu
En ravivant le souvenir de ces années de jeunesse et de théâtre, nourri au scénario par les détails biographiques des ancien·nnes élèves et ami·es, le film agit aussi comme l’aveu bouleversant d’une actrice et d’une cinéaste sur son rapport au monde, qui ne peut s’éprouver que par une contamination permanente entre le réel et la fiction, la vie et le jeu, par le rejet du cadre et de la norme.
Par cette ouverture constante du champ, Les Amandiers semble donner secrètement parce que humblement un accès direct à ces grands mots intimidants que sont la liberté et la vérité. Récemment, L’Innocent, dernier film de Louis Garrel, dialectisait aussi cette théorie d’un jeu salvateur, le seul à même de pouvoir recueillir les confidences d’une déclaration d’amour. Les Amandiers, lui, prend le jeu, cette puissance augmentée de nos vies, comme seul rempart possible au vertige de l’ennui, du chagrin, de la peur du temps qui passe, de la vieillesse, comme l’exigence minimale requise pour vivre sa vie.
Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi, en salles le 16 novembre.
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