Histoires de Cour et de coeur à Versailles dans la bourrasque de la Révolution.
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Il n’y a pas que les sociétés qui font des révolutions. Il y a aussi les planètes. Les révolutions des hommes apportent avec elles le changement, imposent des transformations brusques et profondes, réforment les ordres injustes. Celles des planètes, tout au contraire, ne sont que permanence, répétition, rotation interminable, par exemple, de la Terre autour du Soleil. Le récit des Adieux à la reine croise ces deux types de révolution.
C’est bien sûr celle d’une nation qui se soulève contre le régime qui la gouverne et l’affame : le film débute le 14 juillet 1789, à 6 heures du matin. Mais aussi celle d’une modeste planète – Sidonie, jeune employée à la Cour –, qui ne sait rien faire d’autre que de tourner, tourner et encore tourner autour de l’astre qui l’aimante : la reine. Il ne faudra rien moins que la première – la Révolution française – pour venir perturber l’implacable mécanique de la seconde et rompre le tourbillon révolutionnaire de la jeune fille autour de celle qu’elle prenait pour son soleil.
L’histoire propre de la Révolution française, ses enjeux complexes et ses mécanismes, ne sont pas du tout le propos du film, qui tient le peuple en révolte hors champ. Le roi, le gouvernement, l’élite aristocratique, à l’exception de la reine et de sa favorite, n’occupent pas non plus le centre du film. C’est une classe bien particulière qui intéresse Jacquot, celle de la domesticité de Versailles. Ce petit peuple, qui vit dans les caves du château, est aussi terrorisé que ses maîtres par le soulèvement qui gronde, et n’est solidaire en rien des révolutionnaires.
Femmes de chambre, laquais, gens des cuisines, ils vivent dans les coulisses du pouvoir et le film campe une belle topographie d’un Versailles underground, fait de souterrains, de chambres dans des caves, de cantines en sous-sol. C’est Versailles backstage, coutures apparentes, décor théâtral observé depuis les cintres et filins. Les habitants de cet underworld n’obtiennent des informations que par bribes, s’agitent pour savoir ce qui s’est vraiment passé le 14 juillet à la Bastille. Ils ne maîtrisent rien, sont plus que quiconque les jouets de l’histoire. C’est sur cet affolement impuissant d’une classe intermédiaire que le film résonne le plus avec l’époque contemporaine, évoque cette panique des classes moyennes commentée par les sociologues. Une organisation du monde qu’on croyait intangible se défait en accéléré. La peur gouverne. Chacun s’attache à la stricte défense de ses privilèges, si menus soient-ils.
Le coup formel très réussi de ces Adieux à la reine est d’observer des événements aussi amples que le subit engloutissement d’un monde à travers un minuscule trou de serrure. Un peu à la façon de Virginie Ledoyen dans La Fille seule, Léa Seydoux, belle et vibrante comme jamais, semble tracter la caméra. On ne voit que ce qu’elle voit et d’où elle le voit, on cavale avec elle de galeries en couloirs, et pour elle comme pour nous le macro-enjeu historique s’entrelace à un enjeu plus intime et passionnel : l’amour de cette jeune lectrice pour cette reine déboussolée, ingrate et manipulatrice (Diane Kruger, spectaculaire d’intensité), elle-même éperdument amoureuse d’une sulfureuse courtisane qu’elle entretient (Virginie Ledoyen, savoureuse en intrigante pincée).
Benoît Jacquot orchestre entre elles un trafic complexe de sentiments tus mais devinés, de demandes ravalées ou éconduites. Les objets tournent : une horloge qui passe de main en main, un dahlia brodé dont on s’échange l’attribution, et pour finir une robe verte, dans laquelle l’une apparaît puis l’autre disparaît. Benoît Jacquot n’a pas son pareil pour transformer en spectacle palpitant et gracieux ce petit théâtre machiavélique du désir et de ses détours. Il réussit cette fois à le projeter dans un paysage tout aussi chaotique mais plus ample. La collision est fracassante.
Jean-Marc Lalanne
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