Brunot Lochet (Mario) Ex-Deschiens, acteur dans La Faute à Voltaire où il a contracté l’habitude d’appeler Kechiche “Maître” sur le plateau (“Avec lui, c’est impossible d’être mauvais”), Bruno Lochet est le clown triste par excellence. C’est cette indécidabilité de ton – annonçant les choses tristes comme une bonne nouvelle et les bonnes nouvelles comme un […]
Brunot Lochet (Mario)
Ex-Deschiens, acteur dans La Faute à Voltaire où il a contracté l’habitude d’appeler Kechiche “Maître” sur le plateau (“Avec lui, c’est impossible d’être mauvais”), Bruno Lochet est le clown triste par excellence. C’est cette indécidabilité de ton – annonçant les choses tristes comme une bonne nouvelle et les bonnes nouvelles comme un regret – qui en fait un acteur singulier, et trop rare sur nos écrans.
E. B.
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Hafsia Herzi (Rym)
Paradoxe connu : les personnages de films les plus loquaces cachent souvent des acteurs discrets. Ainsi l’héroïne volcanique de La Graine et le Mulet donne-t-elle l’impression, sortie du film, d’avoir rangé sa verve au vestiaire, comme un costume de scène qu’on n’enfilerait que pour les grandes occasions. Et c’est en peu en vain qu’on cherche à retrouver dans cette jeune fille aux manières parfaites et à la diction maîtrisée (“je prends des cours pour perdre mon accent marseillais”), la tête frondeuse qui propulse le film et son récit en avant. Pourtant, cette inclinaison à forcer le destin ne date pas d’hier. Elle raconte, à propos du casting de La Graine et le Mulet, qu’elle passe à 18 ans, entre deux cours à la fac de droit de Marseille : “Je faisais de la figuration, je voulais vraiment être actrice. Alors, pour être sûre d’avoir le rôle, je me suis inventée une passion pour la danse orientale. Bien sûr, ils m’ont demandé de leur faire une démo, et j’ai paniqué. Du coup, quand on m’a rappelée pour me dire qu’Abdel voulait me rencontrer, j’ai cru que c’était pour m’engueuler !” Cette pugnacité, elle ne s’en déparera pas par la suite, qui ressemble à un véritable parcours du combattant : prendre quinze kilos pour le rôle, faire du sport, apprendre à danser (enfin !). La performance physique est au cœur de ce qui caractérise son personnage : soliloques (la voix) et danse (le corps) s’écoutent et se regardent comme les exploits d’un grand sportif. Pourtant, l’actrice le dit, son plus haut fait est d’avoir réussi à avaler une quantité inconsidérée de couscous : “Dans la scène où je partage un couscous avec Slimane, on a l’impression que je me régale, en fait c’est un cauchemar, je déteste ça !” Autre paradoxe, celui-ci moins répandu : cela donne l’une des scènes les plus sensuelles qu’on ait vu au cinéma depuis longtemps.
E.B.
Bouraouia Marzouk (Souad)
Entre elle et la mère divorcée qu’elle incarne dans le film, c’est “le ciel et la terre” : Bouraouia est aussi “libre, indépendante et cosmopolite” (tunisienne, en France depuis l’indépendance, bac +5, polyglotte) que son personnage est discret, muet, effacé. Seul point commun : l’amour de la nourriture, que Bouraouia préparait pour toute l’équipe sur le tournage. Depuis, elle est retournée dans son lycée porte des Lilas, où elle est intendante, mais se dit prête à retenter l’aventure, pour Abdel ou un autre.
J.Go
Sami Zitouni (Majid)
Sami est la “mauvaise graine”, fils indigne et mari volage. Dans la bande à Kechiche depuis La Faute à Voltaire – quelques petits rôles depuis –, cet ancien restaurateur affable veut poursuivre sa carrière d’acteur, “à condition de ne pas jouer que des terroristes et des indics…”
J.Go
Alice Houri (Julia)
Elle interprète avec grâce la frêle épouse d’origine russe de Sami/Majid. Elle fut découverte très jeune (à 14 ans) par Claire Denis – elle était Nénette dans Nénette et Boni en 1997 – mais depuis, plus rien, ou presque (quelques seconds rôles, dont Le Pornographe de Bonello). Elle espère que La Graine et le Mulet va relancer sa carrière. Nous aussi.
J. Go.
Mohamed Benabdeslem (Riadh)
“Le cinéma est comme un rêve qui me trotte dans la tête, mais je préfère ne pas trop y penser.” Comparse de Krimo dans L’Esquive, Mohamed Benabdeslem, 23 ans, garde les pieds sur terre. Après des études d’optique qu’il a interrompues pour collaborer à La Graine et le Mulet, il envisage d’entrer à la RATP, comme conducteur de train.
E. B
Faridah Benkhetache (Karima)
L’une des forces éruptives du film, incarnant la figure doublement protectrice de la mère et de la grande sœur, cette jeune femme de 33 ans n’a pas eu beaucoup à forcer sur un caractère naturellement généreux : depuis la canicule de 2003, elle aide les personnes âgées en difficulté. Sa première expérience au cinéma a été “passionnante, mais épuisante”. Olivier Loustau (José) Moustache, blouson en cuir et voix de bariton : Olivier Loustau a l’allure altière du bad-boy à la française. L’inverse de son rôle dans La Graine…, mari attentif et diplomate. Acteur le plus chevronné de la troupe (il multiplie les seconds rôles depuis dix ans et jouait déjà dans La Faute à Voltaire et L’Esquive), il ne tarit pas d’éloges sur la méthode Kechiche : “Avec Adbel, tu crois pouvoir sauter 2 mètres, lui te demande 2,30 mètres. Tu les sautes, il te demande d’aller à 2,60 mètres…”
E. B et J. Go.
Sabrina Ouazani (Olfa)
L’inoubliable gamine de cité toujours “vener’” est, aux côtés de Sara Forestier, celle dont la carrière a le plus décollé après L’Esquive. Malgré le succès (des rôles chez Danièle Thompson, Jérôme Bonnell, le prochain Klapisch…), elle habite toujours à la cité des 4 000, à la Courneuve, et suit des études d’histoire à la fac de Saint-Denis. Pour devenir journaliste, au cas où “ça foire dans le ciné”. On lui souhaite de tout cœur de rester de l’autre côté du micro.
J. Go
Les musiciens
Certains des musiciens de La Graine et le Mulet sont des professionnels, comme les joueurs de flûte ney Idwar Iskandar et de cithare qanûn Salah Mohammed. Ces deux Egyptiens pratiquent le grand répertoire classique depuis leur plus jeune âge. A partir des années 60, Salah a contribué à la musique de cinquante-trois films dont Alexandrie de Youssef Chahine. Lui et Idward ont été engagés dans les années 70 au cabaret Al Djazaïr, rue de la Huchette, qui jusqu’à sa fermeture fut le nombril d’un night-clubbing exotico-oriental où se pressait le tout-Paris. Le joueur de luth oud, Abdelhamid Aktouche, voisin de chambre de Slimane dans le film, est quant à lui originaire de la région de Sétif, en Algérie. Arrivé en France en 1966, il a travaillé pendant vingt ans comme aide-soignant aux Hôpitaux de Paris, mais n’a jamais cessé de pratiquer cet instrument le reliant à cette grande variété égyptienne des années 50, qu’il adore par-dessus tout, et dont l’icône absolue demeure le suave Farid El Atrache. Le répertoire exécuté dans le film vient lui aussi pour l’essentiel d’Egypte, avec une prédilection pour des thèmes rendus célèbres par Muhammad Abd al Wahhâb.
F.D.
Habib Boufares (Slimane)
Il fait un peu plus jeune que Slimane, son personnage : moins fatigué, plus élégamment apprêté, rasé de près, coiffure nickel, mise impeccable. Plus bavard aussi. Mais on retrouve chez Habib Boufares le même beau visage creusé par un dense vécu que dans le film, l’aura de prince du désert, la pointe d’accent tunisien. Il est venu en France au début des années 70, pour faire un tas de petits boulots et se fixer comme maçon, à Nice. Son partenaire de travail sur les chantiers était le père d’Abdellatif Kechiche. Le cinéaste avait modelé le rôle de Slimane sur son propre père, mais l’acteur qui devait le jouer est tombé malade. Environ quatre mois plus tard, Abdel Kechiche est venu à Nice pour proposer le rôle au vieil ami de son père. “C’était très dur pour moi. J’avais travaillé toute ma vie dans le bâtiment, et tout d’un coup, on me proposait quelque chose que je n’avais jamais fait, et de plus, le premier rôle ! J’ai beaucoup hésité.” Les essais le persuadent d’accepter le rôle, il s’arrange avec son employeur pour partir en préretraite et se libère ainsi pour un tournage qui durera sept mois. L’acteur novice tient à faire le distinguo entre lui et Slimane, à préciser – non sans coquetterie – qu’il est moins usé, plus jeune, moins timide et malhabile avec la parole. Il répugne à juger sa prestation, lâchant simplement, avec beaucoup de pudeur et d’humilité, qu’il n’est jamais totalement satisfait de ce qu’il fait. En revanche, il pense qu’il y a aussi un peu de lui dans Slimane, et que le film brosse un beau et fidèle portrait des immigrés de sa génération. “On est venu en France pour réussir, construire quelque chose, fonder une famille et transmettre à nos enfants. Et à la fin, on ne trouve pas toujours ce qu’on a voulu. Les désirs des jeunes d’aujourd’hui ne correspondent pas toujours à ce qu’on est venu chercher. Alors nous, les anciens, on reste muets.” Bien qu’Habib Boufares soit heureux de la situation de ses propres enfants et apaisé dans sa relation avec eux, on le sent un peu agacé par le sort de la nouvelle génération et les problèmes qu’elle rencontre dans la société française actuelle. Je lui demande si lui-même en a rencontré en France, il répond par la négative : “Je travaillais, je respectais tout le monde, on me respectait, j’étais bien avec tous mes voisins. Jamais je n’ai souffert du racisme.” Sa fracture à lui n’est pas coloniale mais générationnelle. Pour lui, la question centrale est l’éducation, le goût de l’effort qui se serait perdu chez certains jeunes, l’argent plus facilement gagné dans les divers trafics. Le chômage ? Faux problème selon Habib, si on veut travailler, on trouve. Vision discutable : Habib Boufares est de la vieille école. Dans son existence de maçon issu de l’immigration, le cinéma tenait une belle place. Son épouse glisse que quand il regarde un film, même à la télé, impossible de lui parler tellement il est concentré. Il adore les grands acteurs comme Gabin, De Niro, mais son modèle absolu, celui qu’il place au-dessus de tous les autres, c’est Lino Ventura. “Pour moi, les grands acteurs sont souvent ceux qui parlent peu.” Habib confie aussi que La Graine et le Mulet ne restera peut-être pas une expérience unique, qu’il a déjà reçue de nouvelles propositions et qu’il aimerait bien continuer, malgré son appréhension de tourner avec un autre que Kechiche. Quand on le voit dans le film, on ne peut que l’encourager.
S.K.
Portraits réalisés par Emily Barnett, Jacky Goldberg, Serge Kaganski et Francis Dordor
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