La fin de carrière de David Lynch, les joies du téléchargement illégal, la mort du cinéma indépendant U.S et l’économie du « putain de monde » : Abel Ferrara se lâche dans la presse au festival de Locarno.
C’est déjà l’une des images marquantes de la 64e édition du festival de Locarno : un ours new-yorkais sur la scène de la Piazza Grande (la place forte du festival), qui se lance avec deux sidekicks dans un set de rock a priori aussi foireux qu’émouvant. L’auteur de cette scène, plutôt originale dans la paisible station suisse, n’est autre que le cinéaste Abel Ferrara, venu recevoir un Léopard d’honneur et présenter les premières images de son dernier film : 4 : 44, Last Day on Earth.
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Visiblement d’humeur mélomane, le réalisateur de King of New York ou Bad Lieutenant s’est donc offert un mini concert –très commenté par la presse- en lieu et place des remerciements d’usage. Mais la cérémonie (ou plutôt son piratage) n’a pas été du goût de tout le monde et, après avoir essuyé les sifflets d’un public pas vraiment conquis, Abel Ferrara s’est attiré les foudres d’une partie des médias. « Ferrara musicien, ivre ? Le public n’aime pas » titre ainsi le quotidien de la Suisse italienne Tio, qui en profite pour dézinguer le cinéaste (un « mauvais chanteur », « ridicule », « ivre »). « Un bon petit scandale » ajoute le site suisse Cineman, échaudé par la « piètre prestation » du réalisateur, « visiblement saoul ».
Mais il en fallait plus pour effrayer Abel Ferrara qui a poursuivi sa campagne de provocation depuis Locarno : dans une interview surréaliste accordée au magazine américain IndieWire, l’auteur du toujours inédit Go Go Tales donne son avis sur tout et rappelle en plusieurs points le modèle type de l’interview sale gosse.
1) Sur les potes tu balanceras
Pourquoi l’Europe considère-t-elle Abel Ferrara comme un auteur, alors que les critiques U.S déconsidèrent toujours son œuvre ? Le cinéaste a sa réponse : il est « unique ». Ses contemporains, les « Scorsese, Oliver Stone, Spike Lee, les frères Coen » : des « vendus depuis longtemps », à la botte de l’industrie.
« Il y a eu un moment favorable aux films indépendants, entre 1990 et 1994, explique-t-il, mais ces gars ont tout liquidé. Ce qui me plaît maintenant, c’est que plus personne ne va au cinéma, et ils sont tous là à se demander : « qu’est-ce qui se passe bordel ! »
2) Le téléchargement illégal tu défendras
Depuis Mary en 2005, aucun des films du cinéaste n’a été distribué en France (à l’exception du beau documentaire Chelsea on the Rocks sur l’hôtel mythique, disponible en dvd). Une situation impensable dans les années 90 (l’époque de The King of New York, du Bad Lieutenant, de Body Snatchers), et contre laquelle Abel Ferrara a encore une solution : le téléchargement illégal.
« La seule chose dont vous avez besoin pour voir mes films, c’est Internet, résume-t-il. Allez chercher les torrents, c’est mon grand distributeur, il y a tout. Je ne veux simplement pas trouver le film sur lequel je travaille actuellement. Mais pour le reste, allez sur Internet »
3) La carrière de David Lynch tu enterreras
Il n’y avait plus vraiment de suspens, mais Abel Ferrara confirme : David Lynch « ne veut plus faire de films ». « J’en ai parlé avec lui, ok ? Je ne peux pas dire exactement quand, je suis lunatique, et lui est à fond dans la méditation transcendantale » tente-t-il d’expliquer. Quatre ans après Inland Empire, David Lynch se consacre donc désormais pleinement à la méditation, à ses courts-métrages, sa musique et ses clips. Fin de séance.
4) De Pasolini, tu parleras –dans des termes pensés
Et Pasolini, auquel Abel Ferrara consacrera bientôt un « biopic » ? « He’s the man ».
Romain Blondeau
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