Chaque semaine, un nouvel épisode de notre classement des plus beaux films US de tous les temps. Aujourd’hui, la 50e à la 26e place.
Contre toutes nos attentes, et après des premiers retours récriminants, le deuxième volet de notre top 100 des plus beaux films américains a pas mal buzzé, ici, là, et jusqu’au cimes d’Hollywood. Depuis huit jours, les pressions se multiplient, chaque studio voulant placer un de ses films dans notre panthéon.
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Ainsi tel stagiaire terré dans son studio de 18m2 dans le 20e arrondissement s’est vu livrer une Cadillac rose brandée par la Warner. Le surlendemain, le plus hardi de notre rédacteur a frémi en découvrant la porte de son appartement fendue par quelques coups de hache tandis que la mention « redrum » brillait d’un rouge sanglant autour de la poignée. Un autre de nos critiques à la vie sexuelle jusque là modeste prétend avoir reçu des sextos pour le moins explicites de plusieurs acteurs.trices hollywoodien.ne.s de premiers plans contre citation d’un des fleurons de leur filmo. Une de nos rédactrices pourtant fort peu crédule jure s’être fait réveiller dans son sommeil par le spectre d’Alfred Hitchcock lui ordonnant avec une autorité toute patriarcale de rajouter Les Enchaînés et Les Oiseaux en plus de ses quatre autres films déjà cités.
Mais rassurez-vous, ni les tentatives de corruption, ni les propositions licencieuses ne nous ont détourné de notre sacerdoce cinéphile. Nous gardons la tête froide et, tandis que nous achevons ce préambule, avec toute la candeur de sa jeunesse, un stagiaire regarde par dessus notre épaule la troisième tranche de ce classement et s’ébahit : « Ah tiens, j’ai pas vu Tous en scène. C’est aussi bien que La La Land ? »
50. « La Fièvre dans le sang », d’Elia Kazan (Splendor in the Grass, 1961) avec Natalie Wood, Warren Beatty, Barbara Loden
L’un des plus beaux mélos du monde, grande histoire d’amour impossible entre deux lycéens que la classe sociale sépare, Deanie et Bud, dans l’Amérique provinciale du puritanisme, des fortunes pétrolières et de la grande dépression, sous l’égide du poète Wordsworth (le titre original, Splendor in the grass, est celui d’un de ses poèmes). La dernière séquence est déchirante et a peut-être inspirée celle des Parapluies de Cherbourg (toute aussi déchirante). La Fièvre dans le sang est de ces films qui déclenche les larmes à chaque vision (ils ne sont pas si nombreux). Bud, c’est le beau Warren Beatty débutant, Deanie, c’est Natalie Wood, juste sublime, dans ce qui reste son plus beau rôle. Et dans un second rôle de grande sœur rebelle, on remarque Barbara Loden, Mme Kazan, qui réalisera plus tard le superbe Wanda. SK
49. « Twin Peaks: Fire Walk with Me », de et avec David Lynch (1992) avec Kyle MacLachlan, Sheryl Lee, Ray Wise, David Bowie, Chris Isaak
Un an à peine après la diffusion de l’ultime épisode de la saison 2 de Twin Peaks, sort au cinéma Twin Peaks : Fire walk with me, un long-métrage en forme de préquelle retraçant la longue descente aux enfers de Laura Palmer. Alors que Twin Peaks s’ouvrait sur la découverte du cadavre de la lycéenne, dont le fantôme planait sur les deux saisons, Fire walk with me relate les circonstances troubles de sa disparition. David Lynch, qui marque ici sa troisième apparition dans notre classement (mais pas la dernière) signe un film sublimement ouvragé, à la noirceur obsédante. Réflexion tétanisante sur la nature du mal et les canaux de sa propagation, Twin Peaks : Fire walk with me dresse le portrait d’une Amérique à deux visages, clinquante en apparence, mais rongée par d’insondables démons se nourrissant de la duplicité d’adolescents hésitant entre leur insouciance virginal, et leur attraction pour le chaos. C’est à la fois beau et terrifiant ; comme un grand film de David Lynch. LM
48. « Tous en scène », de Vincent Minelli (The Band Wagon, 1953) avec Fred Astaire, Cyd Charisse, Oscar Levant, Nanette Fabray
Troisième et dernière comédie musicale à paraître dans notre classement après Le Magicien d’Oz (86e) et Les hommes préfèrent les blondes (62e) – oui Chantons sous la pluie ne fait pas partie du classement (wtf ?) – Tous en scène est quelque peu éclipsé par l’énorme popularité d’Un Américain à Paris dans la filmographie de Minnelli. Injustement, car le film compile les plus grands morceaux de bravoure du genre : l’arrivée à la gare d’un Fred Astaire en ex-superstar vieillissante, le pas de deux délicieux de Cyd Charisse et Astaire à Central Park en forme d’étreinte sexuelle à peine cachée, le tableau The Girl Hunt, ballet hallucinant qui rend hommage au film noir américain. L’ensemble se conclut en apothéose par un chant général où les comédiens clament solennellement face caméra : That’s Entertainment!. Drop the mic… LB
47. « Shining », de Stanley Kubrick (The Shining, 1980) avec Shelley Duvall, Jack Nicholson, Danny Lloyd, Scatman Crothers
A sa sortie, le film déçut. Trop de codes liés au cinéma de genre alors très en vogue (Halloween, Massacre à la tronçonneuse, Amityville…) et déjà un peu exténués du film d’épouvante avec maison hantée et tueur à l’arme blanche. Mais en quatre décennies, le film n’a cessé de grandir et déployer sa puissance à soulever les frayeurs archaïques. Jamais on aurait anticipé d’avoir si peur avec le simple crissement d’un tricycle sur un parquet alternativement amorti par le moelleux d’une moquette aux étranges motifs géométriques orangés. Jamais une steadycam filant dans des embranchements incompréhensibles ou des arbustes-labyrinthes sous la neige n’aura à ce point figuré des forces déchaînées de la folie et de l’irrationnel s’abattant sur le monde. Jamais des images horrifiques ne nous auront à ce point imprégné. JML
46. « Les Enchaînés », d’Alfred Hitchcock (Notorious, 1946) avec Ingrid Bergman, Cary Grant, Claude Rains
Sur le papier, c’est une histoire d’espionnage. Une jeune femme (Ingrid Bergman), fille de nazi exilé au Brésil, est séduite par un homme (Cary Grant, fastoche). Il s’avère qu’il est en réalité un agent américain chargé de la « retourner » contre la communauté nazie. Par amour, elle accepte la mission et se marie avec un ami de son père (Claude Rains). Premier point : esthétiquement, c’est sans doute l’un des plus beaux films en noir et blanc d’Hitchcock. Deuxième point : thématiquement, on y retrouve toutes les obsessions passées et à venir du maître britannique : la difficulté d’être sûr(e) d’être aimé de l’autre (Soupçons, Rebecca, La Mort aux trousses, etc.), les mères castratrices (Marnie, Les Oiseaux, Psychose, etc.), la culpabilité (Bergman mène au début du film une vie de débauche). Le couple Ingrid Bergman (la blonde) et Cary Grant (le brun) s’accorde parfaitement, et ils atteignent des sommets dans l’art de l’acteur. Enfin, c’est tout simplement l’un des plus beaux films d’amour de toute l’histoire du cinéma. JBM
45. « Body Double », de Brian De Palma (1984) avec Melanie Griffith, Craig Wasson, Deborah Shelton
Chef de file des post-hitchcockiens, Brian De Palma réalise avec Body Double l’un de ses meilleurs films et celui qui entretient avec l’oeuvre du maître du suspense le rapport le plus riche. Car Body Double se pose d’abord comme un habile maillage entre Vertigo et Fenêtre sur cour. Ce recyclage méta se double d’un discours sur le devenir des images au moment où le porno se déverse dans la culture populaire. Réflexion sur l’histoire du cinéma, sur les images et sur la jouissance du voyeurisme, Body Double est un chef d’oeuvre du cinéma post-moderne. BD
44. « L’Impasse », de Brian De Palma (Carlito’s Way, 1993) avec Al Pacino, Penelope Ann Miller, Sean Penn, Luis Gúzman
Depuis la fameuse scène au restaurant dans Le Parrain, on sait que le bruit des rails est, pour Al Pacino, synonyme d’une tuerie imminente. Film d’entre les morts, L’Impasse prolonge la hantise et piège l’acteur dans une boucle temporelle à partir d’un coup de feu aussi inaugural que définitif sur le quai d’une gare. C’est le dernier rêve d’un mourant et le début d’une histoire d’amour. Et ni l’un ni l’autre ne conduisent aux Bahamas fantasmées. Désireux de se ranger après son passage en prison, Carlito Brigante n’a pas vu que l’époque lui glissait entre les doigts. Il pensait être Humphrey Bogart, filant à l’anglaise avec sa Lauren Bacall, alors qu’autour de lui, personne n’avait encore fait le deuil de Tony Montana (aucun des trois ne figurent d’ailleurs dans ce classement). Avec une ironie désespérée, De Palma montre qu’encore une fois le drame des fantômes est de croire en leur seconde chance. ADJ
43. « Rendez-vous », d’Ernst Lubitsch (The Shop Around the Corner, 1940) avec Margaret Sullavan, James Stewart, Frank Morgan, Sara Haden
C’est sous le nom de Rendez-vous que ce Shop Around the Corner a été re-baptisé pour sa version française. Un terme plus générique qui restitue à merveille le micmac amoureux dans lequel s’entortillent deux employés de la Matuschek Compagnie, ennemis jurés le jour, amants épistolaires la nuit. On a souvent dit du quatorzième film parlant de Lubistch qu’il était à part dans sa filmo et ce à juste titre. Rarement les personnages lubitschien auront eu l’allure de ces modestes employés de boutique. Comédie romantique par excellence, The Shop around the corner s’offre aussi comme une subtile satire sociale où il est bon ton de rappeler que le précepte romantique « vivre d’amour et d’eau fraîche » est un luxe que les petites gens ne peuvent pleinement s’offrir. MD
42. « Boulevard du crépuscule », de Billy Wilder (Sunset Boulevard,1950) avec Gloria Swanson, William Holden, Erich von Stroheim
Immense film de cinéma sur le cinéma, Sunset Boulevard constitue la deuxième apparition de Billy Wilder dans notre classement. Le film s’ouvre sur le cadavre d’un homme flottant dans la piscine d’une luxueuse villa hollywoodienne. Une voix off interpelle le spectateur pour relater l’histoire du malheureux ;celle d’un scénariste raté criblé de dettes (William Holden) qui, en fuyant des huissiers, fait la rencontre de Norma Desmond (Gloria Swanson), une ancienne gloire du muet retranché dans les travées poussiéreuses de son manoir. Puissante méditation sur les fantômes du cinéma muet et le crépuscule des stars, Sunset Boulevard offre un somptueux écrin au talent sans borne de Gloria Swanson, qui, dans une confusion méta chamboulant réalité et fiction, rejoue la détresse qui fut la sienne au déclin de sa prodigieuse carrière. Avec ses caméos cinq étoiles (Erich von Stroheim en domestique placide, Buster Keaton et Cecil B. DeMille dans leurs propres rôles), Sunset Boulevard s’impose comme un chef d’œuvre paroxystique de l’âge d’or hollywoodien. LM
41. « Les Temps modernes », de et avec Charles Chaplin (Modern Times, 1936)
C’est le plus célèbre des films muets (pourtant sorti en pleine explosion du parlant – on y entend d’ailleurs Chaplin chanter), au point de camoufler sa bizarrerie psychologique et sa virulence politique. Car Les Temps modernes est avant tout un film en état de délire et de démence, une satire de l’enfer dépressionnaire mêlant horreurs industrielles, visions kafkaïennes, et même un peu de drogue. C’est le problème des films légendaires : leurs piédestaux sont trop élevés pour bien les y voir. TR
40. « Pulsions », de Brian De Palma (Dressed to Kill, 1980) avec Angie Dickinson, Michael Caine, Nancy Allen, Keith Gordon, Dennis Franz
L’oeuvre de Brian de Palma est combinatoire. Elle déplace deux ou trois motifs hitchockiens et chaque nouvel agencement accouche d’un élément nouveau : Fenêtre sur cour + Vertigo = Body double ; Psychose + Vertigo =
Pulsions… La dilatation à l’infini de la scène de musée de Vertigo pour l’interrompre soudain avec le meurtre de Psychose (dans une cabine d’ascenseur plutôt que de douche) est une extase maniériste comme seul le
fétichisme poussé à son plus haut point d’incandescence maniaque peut en engendrer. Spoiler : c’est un des deux films d’Angie Dickinson dans ce
top. L’autre est plus haut, comporte moins de lames de rasoir mais plus de revolvers. JML
39. « The Party », de Blake Edwards (1968) avec Peter Sellers, Claudine Longet, Marge Champion, Gavin MacLeod
Un acteur originaire d’Inde, Hrundi V. Baksh, est venu tourner à Hollywood dans un remake de Gunga Din. Par erreur, il est invité à une party organisée dans la somptueuse villa d’un grand patron de studio. Il va semer la perturbation et rencontrer l’amour (la sublime Catherine Longet). A sa sortie, La Party reçut un accueil plutôt mitigé de la part du grand public, beaucoup de spectateurs lui reprochant sa lenteur. Et de fait, c’est ce qui est génial et profondément moderne, chez Blake Edwards : du burlesque au ralenti – qu’on peut aussi trouver chez Tati, mais qui se justifie aussi par le fait que le Français aime accumuler plusieurs gags dans un seul plan, ce qui n’est pas le cas chez Edwardes. Après un début bruyant (Hrundi V. Baksh fait accidentellement sauter un décor entier alors que la caméra ne tournait pas), Edwardes fait redescendre la pression (tout le monde s’ennuie dans cette soirée mortelle qui rappelle La Notte d’Antonioni), puis la faire remonter avec un sens de timing parfait, avant une explosion anarchique finale réjouissante, glamourisée par la musique d’Henry Mancini. En outre, La Party une magnifique histoire d’amour, qui dénonce, bien longtemps avant l’affaire Weinstein, les producteurs lubriques, et une sublime réflexion sur la gêne et le mépris social… Enfin, il serait temps qu’on souligne à quel point la performance de Steve Franken, dans le rôle du serveur alcoolique, est tout aussi impressionnante que l’interprétation étonnante de Sellers (qui frise quand même parfois la caricature raciale). JBM
38. « Peggy Sue s’est mariée », de Francis Ford Coppola (Peggy Sue Got Married, 1986) avec Kathleen Turner, Nicolas Cage, Barry Miller, Jim Carrey
Dans la foulée du carton de Retour vers le futur, Francis Ford Coppola, toujours endetté jusqu’au cou après le bide titanesque de Coup de coeur et la faillite des studios Zoetrope, accepte de tourner une version adulte de la comédie à paradoxes temporels de Robert Zemeckis. Surprise : le film est le plus émouvant, le plus habité, le plus vibrant de son auteur. Tandis que Peggy Sue s’étourdit à revivre ses emballements d’adolescentes enrichie en saveurs par tout son savoir d’adulte, cet extraordinaire mélodrame joyeux imprime une palette affective particulièrement subtile et délicate. Toutes les
émotions d’une vie défilent dans un chatoyant manège et Max Ophuls n’est pas si loin. JML
37. « Wanda », de et avec Barbara Loden (1970) avec Michael Higgins, Dorothy Shupenes, Peter Shupenes
Jusque-là actrice et femme d’Elia Kazan, Barbara Loden écrit, réalise et interprète le personnage principal de Wanda, le seul film qu’elle pourra réaliser avant de mourir d’un cancer. Avec Sofia Coppola et Kelly Reichardt, Barbara Loden est la troisième réalisatrice présente dans notre classement. Mais plus qu’être féminin, Wanda est un chef d’oeuvre féministe. Comme le souligne Marguerite Duras, ce film est remarquable dans le brouillage qu’il opère entre Barbara et Wanda. Car l’errance aussi désespérée que sublime du film est autant celle du personnage de Wanda, femme d’ouvrier qui fuit son foyer pour tomber sous la coupe d’un voyou, que celle de Barbara Loden, actrice dont l’émancipation se heurte au pouvoir des hommes. BD
36. « Spring Breakers », de Harmony Korine (2013) avec Selena Gomez, Vanessa Hudgens, Ashley Benson, Rachel Korine, James Franco
Chef-d’œuvre d’Harmony Korine, Spring Breakers est un entonnoir sidérant où se bousculent corps en pagaille, imageries contemporaines (Pussy Riot, gangsta rap, YouTube, télé-réalité) et un certain génie d’époque. Rien d’étonnant alors que le film se focalise autant sur les bouches comme si celles-ci aspiraient l’air du temps à travers alcools, substances et objets phalliques qu’elles engloutissent d’un même coup de langue. Car le vide à combler est à la mesure de la perte qu’il annonce : immense. L’insouciance du quatuor girly, pas vraiment farouche (sauf Selena Gomez, la brune du lot), parti se dépraver dans d’intenses bacchanales étudiantes en Floride, est entravée par un spleen profond où Korine saisit, en un raccord, le pur instant présent et le souvenir, forcément évanescent, qu’il laisse. Mélancolie sauvage à l’image de ce plan sublime où Vanessa Hudgens et Ashley Benson, siamoises blondes, en bikini d’un jaune phosphorescent, flingue à la main, s’en vont faire un carnage dans une maison rose fluo, comme surgie de nulle part sinon de leur rêve d’enfant. Juste avant que Young Thug et Joke n’interviennent, Harmony Korine avait bien compris que notre jeunesse s’écorchait avec des jets roses et violets. ADJ
35. « Certaines femmes », de Kelly Reichardt (Certain Women, 2017) avec Kristen Stewart, Michelle Williams, Laura Dern, Lily Gladstone, Jared Harris
Quelque part dispersées aux quatre coins du Montana, une palefrenière effectue chaque jour les mêmes gestes, une professeure emprunte chaque soir la même route, une avocate répète les mêmes consignes à un client agité puis une autre femme prie un vieux monsieur de lui léguer les quelques vieilles briques qui trainent dans son jardin… C’est avec ces presque riens que Kelly Reichardt construit Certaines femmes. Pour son sixième long métrage, la cinéaste prouve à nouveau que c’est dans la simplicité que se loge, parfois, les plus vives héroïnes. Chronique quotidienne de quatre femmes, Certaines Femmes s’offre aussi comme une fresque romanesque où une simple séquence de diner se transforme en une sublime chevauchée nocturne. Comme dans un rêve éveillé. MD
34. « La Porte du paradis », de Michael Cimino (Heaven’s Gate, 1981) avec Kris Kristofferson, Isabelle Huppert, Christopher Walken, Jeff Bridges, John Hurt
L’exemple canonique du chef-d’œuvre maudit. Massacré par la critique américaine, bide retentissant au box-office, La Porte du paradis est devenu le symbole de la faillite du studio United Artists et de la fin du Nouvel Hollywood. C’est pourtant un grand film, un western démythifiant la conquête de l’ouest pour la ramener à sa réalité sombre d’aventure coloniale sauvage, propulsé par une mise en scène lyrique, alternant digressions contemplatives et incises brutales. »Grand film malade » aurait pu dire Truffaut. SK
33. « Taxi Driver », de Martin Scorsese (1976) avec Robert De Niro, Jodie Foster, Cybill Shepherd, Harvey Keitel
« Are you talkin’ to me ? » est avant tout la phrase d’un dépressif. Celle d’un va-t’en-guerre, Travis Bickle, s’exerçant à intimider son reflet dans le miroir comme un enfant jouerait au cow-boy. Dernière de nos trois Palme d’Or classées, le film du trio gagnant Scorsese / Schrader / De Niro n’est qu’une attente de répondant et une demande de réciprocité. Un besoin (d’altérité, de sexe, de reconnaissance) qui cache une solitude désarmante accentuée par les saxos lacrymales de Bernard Hermann (pour sa dernière partition). Sillonnant un New York infernal à bord de son taxi comme l’on remonterait un Styx sans fin, Travis transforme sa triste ballade en une improbable quête de rédemption et n’est au fond pas si éloigné du Rupert Pupkin de La Valse des pantins, rêvant comme lui d’un quart d’heure de célébrité. ADJ
32. « La Soif du Mal » de et avec Orson Welles (Touch of Evil, 1958) avec Charlton Heston, Janet Leigh, Marlene Dietrich, Joseph Cotten
La lune de miel entre un policier mexicain et son épouse américaine est interrompue par un attentat à la bombe à un poste-frontière. Au-delà de la stupéfiante maîtrise de son célèbre plan séquence inaugural, La Soif du Mal se présente comme une œuvre déstructurée et nerveuse (on n’a rarement vu autant d’audacieuses angulations chez le cinéaste). La frontière géographique et celle qui sépare le Bien du Mal se distordent en un furieux free jazz pendant que les corps et les esprits se désaccordent sous les effets conjugués de la tension, de la chaleur et de l’alcool. Dans la peau d’Hank Quinlan, policier véreux qui s’empare de l’affaire, Welles est à la fois ogre intimidant et gamin boudeur rongé par la solitude, et les scènes où il se réfugie chez le personnage interprété par Marlene Dietrich sont parmi les plus déchirantes sa filmographie. AB
31. « Le Mécano de la Générale », de Buster Keaton et Clyde Bruckman (The General, 1926) avec Buster Keaton, Marion Mack, Charles Smith
Johnnie Gray (Buster Keaton), un conducteur de train sans histoire a deux amours dans sa vie : sa fiancée et sa locomotive. Lorsque que la guerre de Sécession éclate et vient s’interposer entre elles et Gray, ce dernier se met à leur recherche dans une course-poursuite endiablée. Bâtissant entièrement son film sur la verticalité d’un aller puis d’un retour d’un train lancé à pleine vitesse, le pari fou de Keaton ne paye pas à sa sortie. Malgré son budget titanesque (le film contient la cascade la plus cher du cinéma muet), Le Mécano de la Générale sera même un four total. Près d’un siècle plus tard, le film a fort heureusement eu le temps d’être réévaluer. Plus encore, il a permis d’enfin reconnaître Keaton comme le plus grand cinéaste du mouvement et l’un des grands-pères du cinéma d’action. Car, sans lui, après tout, y’aurait-il eu Mad Max : Fury road ? LB
30. « L’Impossible Monsieur Bébé », de Howard Hawks (Bringing up Baby, 1938) avec Katherine Hepburn, James Stewart, Charles Ruggles, May Robson
Sommet de la screwball comedy, L’Impossible M. Bébé est, dès son titre, affaire d’intrusion. Le bambin en question n’est autre qu’un charmant léopard accélérant la nuit de noce entre Susan Vance, héritière excentrique, et David Huxley, paléontologue, un brin coincé, sur le point de se marier avec sa secrétaire (détail rapidement évincé). Intrusion donc : celle d’une joyeuse pagaille menée tambour battant par Susan dans le monde rectiligne du scientifique. Car c’est bien elle qui tient le tapis dans lequel lui n’arrête pas de se prendre les pieds. D’un coup, une anarchie burlesque entre par effraction dans la comédie de mœurs et ni l’une ni l’autre ne s’en remettront vraiment. Symptôme des mariages réussis : Katherine Hepburn et Cary Grant vont filer la métaphore sexuelle avec une espièglerie communicative (on cherche un os disparu tout du long…). ADJ
29. « La Monstrueuse Parade », de Tod Browning (Freaks, 1932) avec Wallace Ford, Leila Hyams, Olga Baclanova, Harry Earles, Roscoe Ates
« One of us !« , s’exclament les créatures du freak show lorsqu’elles tiennent enfin leur vengeance contre celle qui a voulu les humilier. La monstruosité n’est évidemment pas dans l’apparence physique mais dans le comportement, et la beauté est d’abord celle de l’âme : telle est la leçon, peut-être évidente à force d’être rabâchée mais toujours aussi essentielle, du chef d’oeuvre de Tod Browning. Echec à sa sortie (trop terrifiant, dira-t-on), ce film produit par la MGM pour contrer Universal, à la lisière du fantastique et du mélodrame, a aujourd’hui tendance à éclipser le reste de l’oeuvre de ce cinéaste homosexuel (qui savait donc ce qu’était le rejet), notamment son magnifique L’inconnu. Lynch en retrouvera l’esprit dans Elephant Man. JG
28. « Certains l’aiment chaud », de Billy Wilder (Some Like It Hot, 1959) avec Marilyn Monroe, Tony Curtis, Jack Lemmon, George Raft, Joe E. Brown
Sans doute le film dont la dernière réplique (« Nobody’s perfect ») est la plus célèbre du monde… Le scénario et des dialogues de Wilder, co-écrits avec son co-auteur habituel I.A.L. Diamond, frisent la perfection. Comment amener deux hommes hétérosexuels et cisgenres (deux musiciens d’orchestre de jazz), dans les années 30, à se déguiser en femmes ? En les mettant dans une position où leur vie en dépend : témoins du massacre de la St Valentin, les deux musiciens (Tony Curtis-Jerry, le saxophoniste et Jack Lemmon-Joe, contrebassistes) sont poursuivis par les gangsters auteurs du crime. Justement un orchestre féminin recherche une saxophoniste et une contrebassiste… Alors ils se travestissent. Mais voilà, dans le train qui les emmène en Floride, terre de prédilections des vieux milliardaires, Joe et Jerry rencontrent Sugar (Marilyne Monroe), chanteuse et joueuse de yukulele portée sur la boisson et… les saxophonistes et les milliardaires. Tony Curtis, charmé, va devoir jouer un double-jeu, sans cesse obligé de changer de sexe, d’un côté pour pouvoir séduire Sugar et de l’autre afin de pouvoir garder sa place dans l’orchestre. La modernité thématique – sur l’identité sexuelle et sa fragilité (Jack Lemmon-Joe, notamment, finit par ne plus savoir s’il est un homme ou une femme…) – de ce film par ailleurs considéré comme l’un des grands classique de la comédie américaine, explique peut-être qu’il se retrouve si haut dans notre classement 2018. Mais c’est aussi l’un des plus beaux rôles de Marilyn Monroe (qui chante ici certains des titres les plus connus de son répertoire), une Marilyne dont Natalie Wood a donné un jour une très belle définition : « On voudrait qu’il ne lui arrive jamais rien de mal ». JBM
27. « Matrix », de Lana et Lilly Wachowski (1999) avec Keanu Reeves, Laurence Fishburne, Carrie-Anne Moss, Hugo Weaving
Aussi brutalement visionnaire que vaguement démodé (le cuir, les lunettes, Limp Bizkit, tout ça…), Matrix est le film par lequel le monde a plongé dans le millénaire numérique. Un sommet SF sous lequel s’est ouvert le précipice de la virtualité, à la fois champ infini de possibles (prendre la pilule rouge pour devenir un übermensch) et effroyable machine à cauchemars (les « champs » de bébés). Façon pays des merveilles – tout commence par un « suivez le lapin blanc ». En est-on jamais revenu ? TR
26. « Rio Bravo », de Howard Hawks (1959) avec John Wayne, Dean Martin, Angie Dickinson, Ricky Nelson, Walter Brennan
John T. Chance (John Wayne), shérif exemplaire de Rio Bravo vient d’incarcérer le bandit Joe Burdette. Son frère, Nathan Burdette, l’une des personnes les plus influentes de la région ne compte pas le laisser croupir dans sa cellule. Barricadé dans la petite prison vétuste de la ville, Chance doit attendre l’arrivée des renforts alors qu’il est épaulé d’une équipe de freaks : le shérif adjoint Dude (Dean Martin) est un ivrogne, son collègue Stampy (Walter Brennan) un vieillard infirme. Comme à son habitude Hawks prend pour prétexte une intrigue minimaliste et classique d’un genre pour mieux réaliser une description attentive et minutieuse de ses personnages. Ici ce qui importe bien plus que les coups de fusils et autres cascades de cow-boys, c’est l’entraide mutuelle de ces trois hommes qui avaient presque oublié qu’autrefois ils étaient amis. L’arrivée de Feathers, une joueuse professionnelle va même déjouer les certitudes de John T. Chance sur l’amour et les femmes. Comme quoi même au Far West, il y a de la place pour les sentiments. LB
Ce top 100 a été établi à partir des classements individuels d’Emily Barnett, Ludovic Béot, Iris Brey, Alexandre Buyukodabas, Luc Chessel, Bruno Deruisseau, Antoine du Jeu, Marilou Duponchel, Hélène Frappat, Jacky Goldberg, Gérard Lefort, Murielle Joudet, Olivier Joyard, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Baptiste Morain, Léo Moser, Vincent Ostria et Théo Ribeton.
Les notules des films sont rédigées par Ludovic Béot, Alexandre Buyukodabas, Bruno Deruisseau, Antoine du Jeu, Marilou Duponchel, Jacky Goldberg, Murielle Joudet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne, Jean-Baptiste Morain, Léo Moser et Théo Ribeton.
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