Ressuscité au cinéma avec un nouveau casting, le colérique monstre vert est l’un des grands mythes comics sixties. Mais qui est Hulk en réalité ? Un monstre, un joueur de tennis, Saddam Hussein, Alain Delon ? Analyse en dix éléments de réponse.
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Docteur Banner et Messieurs Hulk
Nous savons tous qui est Hulk. Face : un géant vert qui craque son pantalon en bande dessinée depuis quarante ans. Pile : Bruce Banner, chétif savant irradié se transformant sous l’effet du stress. A en croire les personnes nommées ci-dessous, c’est un peu plus que Jekyll + Hyde, mais un cas de schizophrénie barré, dont les personnalités varient selon les époques. Petite revue de passage :
Hulk est un monstre classique : dans le comics, Hulk est surnommé le « Titan Vert ». Dans sa version mal aimée au cinéma de 2003, Ang Lee prend le terme au mot et importe tout un stock de signes mythologiques pour épaissir l’histoire : Banner souffre d’un Œdipe mal digéré (son papa, joué par Nick Nolte, était méchant et battait sa mère) qu’il déballe avec son géniteur dans une séance de thérapie père-fils qui tourne au pugilat homérique. Banner père – un mégalo façon Prométhée – pète les plombs en mordant un câble et devient une créature électrique façon Zeus. Ang Lee a avoué à l’acteur Eric Bana, interprète de Bruce Banner, qu’il voulait tourner son film à la manière d’une tragédie grecque (1).
Stan Lee, le co-créateur du personnage, avait aussi d’autres références en tête il y a quarante ans : le monstre de Frankenstein, qui partage avec Hulk une image de créature incomprise et injustement pourchassée. Et aussi le Golem, monstre issu de la tradition juive, pataud et stupide comme le Hulk des débuts – parabole de la folie des grandeurs (l’hubris grec) des apprentis sorciers contre-nature, rabbins en noir ou scientifiques en blouse blanche (2).
Hulk est un monstre atomique sixties : dans le comics, Banner devient Hulk après avoir été exposé à l’explosion d’une bombe atomique. Les Daniels, écrivain de fantastique et critique spécialiste des comics, le résume clairement : « Hulk est l’incarnation la plus dérangeante des périls de l’âge atomique » (3). Vert, mauvais goût vestimentaire (ce futal pourpre), mutant et incontrôlable. Beaucoup de collègues de Hulk de l’époque doivent d’ailleurs leurs pouvoirs aux radiations : Spiderman et les X-Men entre autres.
Hulk est un joueur de tennis : couleur gazon, Hulk aurait pu finir golfeur mais semble préférer le tennis, d’où sa phrase rituelle (comics et version Leterrier) « Hulk smashes ! » Reste à lui offrir une raquette couleur roquette.
Hulk est le super geek : comme Peter Parker/Spiderman, Banner/Hulk est un geek chétif binoclard. Mais contrairement à l’homme-araignée, il n’a pas vraiment le loisir de jouir ou d’être grisé par ses pouvoirs – il ne les contrôle pas. A côté de Spidey l’ado en crise, Banner est plutôt le premier de la classe brimé par ses camarades et qui rêve d’exploser pour leur casser la gueule. Dans un sondage sur les campus pour le magazine US Esquire en 1965, Hulk arrivait en tête avec Spiderman, Bob Dylan et le Che dans le top des icônes de la contre-culture américaine auprès des étudiants les plus radicaux (4). En pleine guerre du Vietnam, Hulk incarne donc le petit jeune homme en colère et sous pression, qui veut protester contre son pays.
Hulk est Ang Lee : le fait est moins connu. Le cinéaste avoue s’être beaucoup identifié au personnage de Banner selon un angle original, celui des Asiatique-Américains bridés par leur famille et les valeurs confucéennes de boulot, parents, boulots et qui ne demandent qu’à se rebeller : « en grandissant, mes désirs d’artiste étaient toujours réprimés [par sa famille] – on me pressait toujours de faire quelque chose d’utile, comme être docteur [Banner]. » (5).
Hulk est Alain Delon : dans le comics, Hulk aime au début parler de lui à la troisième personne.
Hulk est Saddam Hussein : voyons voir : une créature, considérée comme une arme de destruction massive, verte – la couleur généralement associée à l’Islam – et poursuivie par des militaires américains dans le désert (version BD et Ang Lee).
Hulk est le Monde (pas le journal) : interrogé par l’essayiste et journaliste Naomi Klein sur l’éventualité d’une Troisième Guerre Mondiale, le président vénézuélien Hugo Chavez lui a répondu ainsi : « la géopolitique mondiale est comme le comics Hulk, où il s’énerve avant de se transformer » (6). Jean-Claude Van Damne n’a fait aucun commentaire.
Hulk est Tyler Durden : il est piquant de voir Edward Norton en Banner/Hulk dans la version de Louis Leterrier. L’acteur jouait en effet dans Fight Club un chétif bonhomme frustré, qui ne demande qu’à canaliser sa rage, à soigner son malaise existentiel au cours de bonnes bastons. Dans Fight Club, un globe terrestre géant est lâché de son piédestal pour tout écraser sur son passage – tel le monde glissant des épaules du Titan Atlas, cousin mythologique de Hulk.
(1) Empire, 05/2003
(2) Simcha Einstein, Up, Up, and Oy Vey!, Leviathan Press, 2006
(3) Les Daniels, Marvel: Five Fabulous Decades of the World’s Greatest Comics, 2001
(4) Bradford Wright, Comic Book Nation: The transformation of Youth in America, John Hopkins University Press, 2001
(5) Sfgate.com, 01/06/2006
(6) The Guardian, 8/01/2008
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