Tandis que sort « The assassin », le premier film d’arts martiaux du grand cinéaste taïwanais Hou Hsiao Hsien, sélection des plus éclatants déploiements de sabres et de kung fu.
The Assassin de Hou Hsiao Hsien est dernier avatar d’un genre qui n’en finit pas de renaître, le kung fu. Un genre né à Hong-Kong dans les années 1920, qui a explosé dans les années 1970, parallèlement au succès de Bruce Lee. Il connaît un second souffle lorsque le style cape et épée du kung fu, le wuxia (pian), est supplanté par le combat à mains nues, illustré par les adeptes de Shaolin. Retombé en désuétude, le genre est relancé dans les années 1990 par Tsui Hark, siphonné par Hollywood (Kill Bill, Matrix) et régurgité sous forme de fac-similé (Tigre et Dragon). Voici notre best of du genre.
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1) A touch of zen de King Hu – 1971
A la fin de la dynastie Ming (XVIe-XVIIe siècle), la fille d’un noble assassiné est traquée par les sbires d’un eunuque tout puissant de l’empire. Le chef d’œuvre du cinéma d’arts martiaux. L’une des singularités de ce joyau du grand cinéaste chinois King Hu (1932-1997), maître absolu du “wu xia”, est l’absence de combats durant la première heure. C’est bien un film d’action, mais subordonné au climat fantastique généré par le filmage et les décors hantés où évoluent les personnages. Leur lutte est placée sous le signe du temporel et du spirituel, figurés respectivement par l’armée de l’eunuque corrompu et les moines bouddhistes protégeant l’héroïne. La dimension religieuse du récit, la virtuosité des acteurs-acrobates, et les chassés croisés de la mise en scène transcendent cette geste magique. Dans ce film comme toujours chez King Hu, la femme a une place centrale. Une femme-guerrière redoutable, ce qui n’existe que dans le cinéma chinois.
https://www.youtube.com/watch?v=WtLgcnIGI2I
2) La 36e Chambre de Shaolin de Liu Chia Liang – 1978
Le temple bouddhiste de Shaolin fut un grand centre d’arts martiaux dès le XVIIIe siècle. Ses multiples destructions (notamment par l’école dissidente de Wu Tang, chère aux rappeurs) ont fourni la trame de plusieurs films. C’est dans La 36e Chambre de Shaolin qu’est exposée dans tout son raffinement la doctrine du kung-fu, discipline mystique avant tout, qui exige un apprentissage humble et laborieux. Voir comment Wang De (Liu Chia-hui alias Gordon Liu) devient un maître en passant par toute une série d’épreuves physiques et psychiques comprenant aussi bien des tâches ménagères que des exercices d’adresse destinées à l’endurcir. Notions qui avait été préalablement galvaudées dans la série américaine Kung-fu, où David Carradine qui jouait un moine de Shaolin réfugié aux Etats-Unis ! Liu Chia-liang, qui consacrera à la mode de la kung-fu comedy dans le deuxième volet de sa trilogie Shaolin, sera, comme Chang Cheh, un des grands virtuoses de l’art corporel au cinéma.
https://www.youtube.com/watch?v=UBlMef8eFww
3) La Rage du tigre de Chang Cheh – 1971
Autre monument du wuxia, La Rage du tigre est le dernier volet de la trilogie du Sabreur manchot de Chang Cheh, le plus mythique des cinéastes de Hong Kong, idolâtré par John Woo, qui fut d’ailleurs son assistant, et Tarantino. La dynamique du film est en effet un modèle, grâce à son lent attisement de la violence, diamétralement égale aux souffrances endurées par le bretteur Lei Li. Celui-ci, contraint à s’amputer un bras après avoir perdu un duel, se terre dans une auberge. Il reprendra du service pour venger son ami assassiné par le clan du Tigre… Les innombrables combats sont comme souvent la raison d’être du film. Véritables ballets, ils confèrent aux héros une immatérialité surhumaine, contrebalancée par une virilité sanglante, aux connotations homosexuelles, marque du dolorisme baroque de Chang Cheh.
4) Dragon (Gate) Inn de King Hu – 1967
Deuxième film indispensable de King Hu, Dragon Inn illustre la connivence entre le wu xia et le western italien. Même sens de l’espace, de la durée, même mélange d’humour et de cruauté. Si le scénario préfigure A Touch of Zen – un eunuque maléfique proche de l’empereur lance son armée à la poursuite des enfants d’un dignitaire qu’il a assassiné –, la mise en scène des combats s’appuie essentiellement sur le décor intérieur. Outre quelques scènes dans des paysages désertiques, c’est dans une auberge isolée que l’essentiel se joue. Elle devient un échiquier où les rivaux se positionnent, avant une résolution finale en pleine nature. Le film a eu une postérité étonnante : deux remakes plus un film-hommage de Tsai Ming-Liang (Goodbye Dragon Inn). Son dispositif préfigure aussi celui des 8 salopards de Tarantino, grand recycleur.
https://www.youtube.com/watch?v=cM17uc3Sje0
5) Le Sabre infernal de Chu Yuan – 1976
Chaînon manquant entre le gracieux King Hu et le viril Chang Cheh, le prolifique Chu Yuan, alias Chor Yuen, est un des grands maîtres du wu xia pian – et le plus oublié. Son féerique Sabre infernal (1976) est une épure abstraite, un rêve nocturne sur la poursuite d’un être machiavélique par un bretteur solitaire (Ti Lung) armé d’une arme insolite (un sabre tournoyant). Elégant et agrémenté d’une pincée d’érotisme, le film se complexifie progressivement, au point que le manichéisme du cinéma d’action est battu en brèche, et que les faux-semblants se multiplient. Citons du même cinéaste, le magistral et complexe Guerre des clans (1976) ou le légendaire et plus ouvertement érotique Confessions intimes d’une courtisane chinoise (1972), que certains considèrent comme son sommet.
https://www.youtube.com/watch?v=sab5MjSIRWo
6) The Blade de Tsui Hark – 1995
Le remake d’Un seul bras les tua tous (1967), premier volet de la trilogie du Sabreur manchot de Chang Cheh, où un jeune forgeron parti venger son père perd un bras lors d’un combat. Ce handicap le galvanise et l’incite à devenir un virtuose inégalé du sabre, grâce à une technique aussi iconoclaste que frénétique. A l’inverse de Wong Kar-Wai, qui revisite le wuxia en y introduisant une nonchalance opiacée et impressionniste, Tsui Hark, qui ressuscita le kung fu à Hong-Kong avec Il était une fois en Chine, destroye la tradition de fond en comble en optant pour ce qu’il appelle son “cinéma-vérité”. Au lieu de s’appuyer sur le montage et sur la gestuelle des acteurs comme ses prédécesseurs, Hark fait de la caméra une actrice. Elle exécute elle-même des cascades et tournoie autant que le sabre du héros. Une nouvelle forme de calligraphie martiale, brute, sale, fracassée.
7) Fist of legend de Gordon Chan – 1994
Un virtuose des arts martiaux, Chen Zhen – incarné par l’ultime grande star du genre, Jet Li –, lutte contre l’envahisseur japonais à Shanghai en 1937. Ce remake de La Fureur de vaincre de Lo Wei (voir plus bas), qui aurait servi de matrice au célèbre Matrix, époustoufle. L’intrigue est bien sûr prétexte à des combats divers et variés, d’une grande inventivité, comme ce duel champêtre façon colin-maillard entre le héros et un maître nippon. Comme dans les classiques du genre, la précision des gestes, l’élégance de la mise en scène et la rigueur du montage transforment ces joutes violentes, où se mêlent kung fu, karaté et boxe anglaise, en chorégraphies aériennes. Jet Li, le dernier grand successeur Bruce Lee, ne fait pas oublier le Petit Dragon, mais apporte fraîcheur et limpidité à la discipline.
8) Les Cendres du temps de Wong Kar Wai –1994
Murong Yang vient charger Ouyang Feng, aventurier sabreur devenu ermite, d’occire son confrère et ami Huang Yaoshi. Peu après, la sœur de Murong demande à Ouyang d’éliminer son frère… Ceci n’étant que le début d’une intrigue complexe et embrumée, dont l’essentiel est la rêverie sentimentale d’Ouyang ; laquelle est entrecoupée par des combats de sabre permettant de rattacher le film au wuxia pian. Si, malgré la singularité de sa relecture du genre, étayée par la caméra fluide et ondoyante de Christopher Doyle, son chef op génial, Wong Kar Wai ne le renouvelle pas, cet étrange film de kung fu, remonté et restauré par le cinéaste en 2008, est un des plus entêtants. En 2013, après quelques hits intimistes et sentimentaux (In the mood for love, 2046) opère une deuxième embardée vers le film d’arts martiaux avec The Grandmasters. Bien que parfois très bluffant visuellement, le film ne retrouve pas l’éclat poétique et la splendeur mélancolique d’Ashes of time.
9) Tigre et dragon de Ang Lee – 2000
Au XVIIIe siècle, deux factions de bretteurs se disputent la possession d’une épée légendaire. Beauté des paysages et des comédien(ne)s chinois, taiwanais, et hong-kongais, combats estomaquants, scénario feuilletonnesque à la Alexandre Dumas, histoires d’amour entre combattants… Pas l’ombre d’une faute de goût dans cette œuvre parfaite, voire trop, due au premier de la classe du cinéma spectacle, Ang Lee, formé aux Etats Unis, dans laquelle on ne trouve pas les scories qui faisaient la poésie du cinéma classique de Hong-Kong (par exemple ses bruitages irréels). La Rolls du genre, le meilleur digest possible du wuxia pour grands débutants. D’autres spécialistes chinois du grand spectacle suivirent le mouvement dans les années 2000, comme Zhang Yimou (Hero et surtout son très beau Secret des poignards volants), ou John Woo (notamment sa production Le Règne des assassins (2010) de Chao-Bin Su).
10) La Fureur de vaincre de Lo Wei – 1972
Elève d’arts martiaux, Chen Zhen mène une croisade contre les membres d’une école japonaise d’arts martiaux ayant causé la mort de son maître. Le scénario est fondé sur la xénophobie des Chinois envers les Japonais qui les martyrisèrent dans les années 1930. Il est difficile de choisir entre les quelques films tournés en vedette par Bruce Lee avant sa mort brutale à 32 ans : ils ne sont pas géniaux cinématographiquement parlant et flirtent souvent avec des genres exogènes. Mais, comme ici, ils comportent tous des combats fabuleux exécutés par le Petit Dragon (surnom de Lee), génie de la boxe chinoise, qui lança dans le monde la mode du cinéma d’arts martiaux grâce à sa puissance expressive, sa vitesse inouïe, sa grâce chorégraphique, ses cris suraigus, et tout simplement sa beauté.
Vincent Ostria
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