Le petit chimiste fou du cinéma réalise un documentaire émouvant et aigu sur la famille.
La capacité de Michel Gondry à bricoler son cinéma avec à peu près n’importe quoi ne laisse pas d’étonner.
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Au départ, L’Epine dans le cœur ne devait être qu’un portrait, un simple portrait de sa tante Suzette, institutrice itinérante en milieu rural, hussarde de la République dévouée corps et âme à son métier.
Une première ligne narrative s’y dessine donc au fil des visites d’écoles, pour la plupart désaffectées ou reconverties, des rencontres avec les anciens élèves et collègues, qui tous témoignent de ses qualités de pédagogue, de son avant-gardisme culturel.
Sévère mais juste, sainte Suzette fut ainsi pendant plus de trente ans (1952-1986) la maîtresse de classe idéale de quelques hameaux des Cévennes, qu’une maquette de train, filmée avec gourmandise par Gondry – on sait son goût pour la miniature et le bricolage –, nous fait visiter un par un.
Un petit train pas anodin, toutefois, puisque c’est lui qui fait le lien entre cette partie du film, intéressante mais un peu lisse, et une seconde ligne narrative beaucoup plus personnelle, aux brisures multiples : la vie de Jean-Yves, le fils unique de Suzette (et donc cousin de Michel), quadra marginal et introverti, homosexuel dépressif qui squatte le grenier de maman pour fabriquer ses maquettes.
Et c’est ce garçon “fragile”, pour reprendre l’euphémisme maternel, qui donne au film son titre, et à Suzette son “épine dans le cœur”. Figure publique apparemment infaillible, celle-ci semble vaciller dès lors qu’est évoquée la douloureuse relation filiale, et il faut tout le talent d’équilibriste de Michel Gondry pour fouiller la tourbe familiale sans en éclabousser les membres, pour gratter le vernis des souvenirs super-huit, forcément joyeux, sans en abîmer la couche la plus sensible.
Comme à son habitude, le réalisateur fonce tête baissée dans la matière, donne à son documentaire (son second, après le beau Block Party sorti en 2006) des allures de bric-à-brac en perpétuelle réinvention ; prend un malin plaisir à montrer les coutures, ces rushes ingrats d’avant et après la prise (“Perche, perche, perche !”, entend-on à un moment) qui d’ordinaire disparaissent du montage final ; mélange sans aucun souci hiérarchique des archives, des interviews, des reconstitutions, des scènes de vie et de making-of, des séquences clippées…
Les plus belles d’entre elles (une séance de cinéma improvisée dans les ruines d’une ancienne école ; des écoliers dans la cour rendus invisibles par un trucage numérique élémentaire) trahissent d’ailleurs le véritable projet gondrien : retrouver dans l’art et le collectif la capacité enfantine à enchanter le réel avec trois fois rien.
Cette morale de coffre à jouets (“on dirait qu’on serait… des cow-boys !”), qui peut parfois agacer lorsqu’elle n’est amarrée à rien, trouve dans l’écriture documentaire un souffle nouveau et fait de Gondry un auteur décidément attachant. Et de ce film un de ses plus émouvants.
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