Leos Carax n’a pas déçu. D’abord accueilli par quelques protestations puis par un grand silence circonspect, son film court est un manifeste de cinéma en même temps que la promesse d’un futur à nouveau possible.8’37 »: le temps d’un 100 m utopique pour un monstre sous anabolisants, le temps pour Leos Carax de nous rassurer sur son désir de cinéma.
S’il n’est pas sorti indemne de l’aventure des Amants, si on s’inquiétait pour lui comme pour un frère lointain et mutique, ce Film sans titre a été reçu avec la violence d’un direct à la mâchoire. Carax a réalisé son premier objectif : impressionner. Lui, le paria du cinéma français, victime expiatoire de toutes les prétendues dérives auteuristes, se devait de réussir son retour tout en ne renonçant à rien.
« Le Festival de Cannes, à l’occasion de son 50e anniversaire, a demandé à Leos Carax un film court, comme une lettre adressée au Festival dans laquelle le cinéaste donnerait de ses nouvelles » prévenait une feuille distribuée avant la projection. Avant de s’exécuter (« donner de ses nouvelles »), le cinéaste a tenu à présenter au Festival son diagnostic sur le mode malicieux et orgueilleux du « Vous aurez de mes nouvelles ! ». Crépitements des flashes, tonnerres d’applaudissements réglés sur le plus haut niveau sonore, images en négatif couleur de la montée des marches, carte en surimpression des villes conquises par le Front national, comparaison osée et provocatrice avec les saluts à la foule d’un tribun fasciste, « Voilà d’abord de vos nouvelles ! Pas très fraîches… ». Venu présenter cet alléchant work in progress pour trouver les capitaux nécessaires à sa croissance, Carax se montre tel qu’il se voit, par le biais d’une vue Lumière un peu salace, en ballerine à tutu, prête s’il le faut à sauter toujours plus haut pour séduire d’éventuels protecteurs, piégée sur la scène, offerte en pâture à des regards hostiles, s’ur ancienne qui subit la même humiliation. « HOW CAN I « , interrogation meurtrie d’un carton, doublée par la voix-off : « Ne jamais rien demander ». Voilà, Carax a fait le point.
« Comment ça va ? » est la seule question qu’on doit poser à un cinéaste disait Godard. Lucide sur son statut de mendiant éternel, Carax puise dans les stocks pour répondre. Comme Godard, justement, c’est à travers l’histoire du cinéma qu’il s’est construit une biographie enfin possible. Alors, les extraits de vieilles fictions muettes s’entrechoquent avec les images des « catastrophes naturelles » : avalanches, coulées de lave, inondations et glissements de terrain, fleuve de sang et couple qui dérive. Après chaque chute, il faut à nouveau gravir l’escalier (qu’il soit à Cannes ou à Montmartre), tout en sachant qu’on finira toujours par retomber et qu’il faudra encore recommencer, même en piteux état, jusqu’au bout. Reste à rêver les films de sa vie, à oublier l’espace d’une sieste tendre « ce peuple de saboteurs », à affronter le grand cauchemar de l’Histoire, avec ses ruines, ses bombes et ses croix. Reste à laisser entrer un peu du monde par la fenêtre entrebâillée de la chambre des enfants, à laisser les draps se tacher des dessins des murs de la ville, à apprendre à se penser deux, avec une s’ur-amante comme meilleur allié, pour se tenir chaud, trouer la nuit et chanter une berceuse devenue chant de résistance, comme dans La Nuit du chasseur.
Soudain, un titre apparaît, Pola X (Hamlet’s sister). Si Catherine Deneuve la belle princesse devenue bonne fée, toute de rose-Demy au volant de sa décapotable, son front ceint d’un diadème magique a donné sa bénédiction, c’est que le miracle aura bien lieu, que la foule imbécile et hurlante sera bientôt réduite au silence. Il ne nous reste plus qu’à attendre. Et à espérer.
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