Le quotidien d’une prison de femmes, dont les détenues sont aussi des mères.
La caméra serpente à pas de loup dans les couloirs en clair-obscur d’une prison, et soudain, au détour d’un corridor et d’un plan, un môme en bas âge qui trottine. Instant de vrai surgissement et de pur cinéma : un marmot, une prison, deux images dont l’association ne correspond pas naturellement à notre imaginaire et qui sont pourtant ici réunies dans le même plan.
Nous avons vu beaucoup de films de prison avec des hommes, quelques-uns avec des femmes, nous savons que les prisons pour femmes existent, mais nous n’avons jamais vu ce que montre avec intensité et minutie du détail ce film de Pablo Trapero : la vie quotidienne de femmes incarcérées qui sont aussi des mères. Grossesse derrière les barreaux, jardin d’enfants entre les murs, jouets colorés égayant leur grisaille, Leonera se fonde entièrement sur cette fusion inédite au cinéma de deux univers a priori antinomiques, celui de la prison et celui de la petite enfance.
Le monde pénitentiaire y est adouci, humanisé, féminisé alors que le premier âge y devient âpre. Le film concilie adroitement deux niveaux : celui plutôt général, sociétal et politique de la dureté des conditions de détention, et celui, plus intime, plus précis, qui montre comment se vivent quotidiennement féminité et maternité dans un tel contexte.
Notre “guide” dans ce monde reclus de la société et exclu de la représentation est Julia (Martina Gusman, compagne de Trapero, impressionnante), une belle jeune femme enceinte qui se retrouve là parce qu’elle s’est un jour réveillée d’une mauvaise cuite au milieu d’un bain de sang, celui de son mari assassiné. Un des beaux plans du film la montre nue pendant sa grossesse avancée : une icône double, à la fois taularde brisée et future mère resplendissante. La mère de Julia est aussi une belle surprise : elle est incarnée par Elli Medeiros, égérie éternelle de nos années punk et pop parisiennes, qui est désormais une femme à la cinquantaine superbe, très émouvante dans ce contre-emploi de mère bourgeoise.
Leonera est une sorte de mix thématique entre Hunger et L’Echange. Moins arty que le McQueen, moins tributaire d’un néoclassicisme sépia que le Eastwood, c’est un film carré, efficace, bien senti dans les portraits évolutifs de ses personnages. Ne lui manque qu’un peu de singularité formelle, un peu de souplesse dans son architecture générale, peut-être aussi un peu de respiration hors les murs pour être totalement satisfaisant. La prison demeure un univers dur, claustrophobe, peut-être une métaphore utérine, un terrain de fiction ingrat : Trapero parvient à la renouveler partiellement par la féminisation, oscillant entre le déjà-vu un brin académique et le jamais-vu saisissant.
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