Le livre des passages. Raymond Bellour écrit sur les images : plutôt qu’une analyse figée, une pensée sensible de l’accident et du passage. Il y a quatre ans, à Censier, Raymond Bellour nous enseignait, à la suite de Foucault, qu’écrire (sur le cinéma, sur le reste) consistait essentiellement à essayer des mots. Ou à les […]
Le livre des passages. Raymond Bellour écrit sur les images : plutôt qu’une analyse figée, une pensée sensible de l’accident et du passage.
Il y a quatre ans, à Censier, Raymond Bellour nous enseignait, à la suite de Foucault, qu’écrire (sur le cinéma, sur le reste) consistait essentiellement à essayer des mots. Ou à les user, ce qui revient au même. Le mot traversé cette saison-là était « Emotion ». Ça aurait pu aussi bien être « Images », au pluriel, on verra pourquoi.
A peu près au même moment paraissait dans la revue Trafic, qu’il codirige depuis sa création il y a huit ans, un long texte, repris dans ce florilège totalement homogène, intitulé La Chambre, avec cette dédicace : « A Gilles, la pensée, l’affection. » Au-delà du clin d’oeil (on voit bien de qui il s’agit, par ces deux mots appropriés que Deleuze a précisément essayés/usés), c’est l’écriture même de Bellour qui se trouve ici cristallisée, nommée. Une écriture qui a su, en trente ans, se transformer sans pour autant quitter ces deux pôles. Ce qui a changé chez Bellour, probablement au contact de Deleuze, c’est l’abandon d’une analyse figée, fondée sur l’arrêt sur image (celle de la sémiologie) pour une écriture qui, tout au contraire, se saisit de leur mouvement, du passage des images, qui transforme leur caractère insaisissable en puissance : l’entre-images. Au pluriel, puisque Raymond Bellour est, à ma connaissance, le seul aujourd’hui à faire du centre de sa pensée le croisement de toutes les générations d’images, celles du cinéma, de la peinture, de la photo, de l’art vidéo, auxquelles viennent s’ajouter aujourd’hui celles produites par l’ordinateur (voir son texte sublime autour du CD-Rom de Marker). La pensée de Bellour est nouvelle, puisqu’elle réagit par trafics, rhizomes, hypertextes. Elle est saisie d’un mouvement qui ne se satisfait pas des catégories, des sites, qui attend toujours une mise en relation, du possible (« … sinon j’étouffe ! »). Aux « nouvelles images », il préfère l’émergence du « nouveau » dans l’image, le flirt d’une archéologie et d’un devenir. En écrivant, il réalise pleinement la contradiction compulsive de Michaux : « En somme, c’est le cinéma que j’apprécie le plus dans la peinture. » D’où qu’elles viennent, les images n’ont qu’un horizon, leur puissance de libération d’une idée, d’une idée à nouveau essayée. Les images sont (toujours) à venir.
Ce n’est pas un hasard si au fil des deux volumes (le premier sorti il y a dix ans, aujourd’hui épuisé), Bellour se réfère de plus en plus souvent aux textes de Blanchot sur Mallarmé. Il retrouve, avec Godard, Marker, Deleuze, Bill Viola ou Douglas Gordon, un geste continu vers une image libre, comme il y a eu, en Un Coup de dés, l’annonce d’un vers libre. Ses analyses de dispositifs comme actes de pensée montrent que jamais ceux-ci n’aboliront le hasard ; au contraire, nous allons de plus en plus vers une nécessité de l’accident, de l’aléatoire. D’où l’urgence (toute mallarméenne) de se référer à l’image classique comme source : « Godard s’attaque à des formes anciennes pour ne rien perdre de ce qu’elles transmettent », et toucher enfin à une image-mémoire (le CD-Rom ?), « une mémoire en qui s’achèverait toute la mémoire du monde ». Avec ce deuxième volume, Raymond Bellour s’approche un peu plus encore de son Livre à venir.
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