Les remises de récompense phares du cinéma américain et français ont respecté un certain équilibre et offert quelques belles satisfactions.
Le palmarès des César a certaines années la faculté de déjouer les hiérarchies et de dessiner une cartographie du cinéma français où des productions minoritaires sont érigées en modèle. En décernant le César du meilleur film à Fatima, les votants ont récompensé un film qui était certes déjà un succès à l’échelle de l’œuvre injustement confidentielle de Philippe Faucon, mais l’un des moins performants au box-office parmi les nommés.
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Le plébiscite de ce récit d’apprentissage du français par une mère issue de l’immigration a valeur de statement politique dans un contexte de tensions communautaires. C’est aussi la reconnaissance d’un cinéaste de premier plan, qui a signé des films superbes (Sabine, 1993 ; La Désintégration, 2011…) et dont la force vertueuse s’impose enfin.
Arnaud Desplechin, enfin
Autre climax heureux : la victoire d’Arnaud Desplechin en meilleur réalisateur. Quatre fois nommé, l’auteur de Trois souvenirs de ma jeunesse obtient son premier César. De toutes les nominations dans cette catégorie, l’Académie a salué le geste de cinéma le plus artiste et audacieux.
On peut regretter que sur ses onze nominations, Trois souvenirs… n’ait remporté qu’un trophée. Mais le film entier est récompensé avec ce César et l’apostrophe de Desplechin à ses interprètes les associait à son prix de façon très délicate.
Trois films primés avaient été présentés à la Quinzaine
Le reste du palmarès est équilibré, sans vainqueur écrasant : quatre César pour Marguerite, dont celui de la meilleure actrice pour Catherine Frot, un seul pour La Loi du marché mais pour Vincent Lindon (le “DiCaprio français”, selon l’avisée Florence Foresti), trois pour Fatima, quatre pour Mustang, dont celui du meilleur premier film pour Deniz Gamze Ergüven. Mustang, Fatima, Trois souvenirs….
Ces trois films ont été présentés à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs (comme Much Loved, qui n’a hélas pas valu de César à son actrice Loubna Abidar). Que les films les plus notablement couronnés aient été présentés dans une section parallèle du Festival est assez significatif de ce pas de côté des César, et aussi de la clairvoyance de la Quinzaine.
Quelques oscars surprises
La cérémonie des oscars a, pour sa part, su jouer avec les nerfs de ses spectateurs. On a cru d’abord pouvoir penser que Mad Max – Fury Road, remportant en un temps record six statuettes (essentiellement techniques), allait créer la surprise. Si le convoi flamboyant de George Miller a finalement quitté la route, son film est le plus primé de la soirée. Ce qui est, sinon une satisfaction, au moins une consolation.
Ensuite, on a pu croire que The Revenant allait trôner au sommet. Après un oscar de la meilleure photographie pour Emmanuel Lubezki (le troisième d’affilée après Gravity et Birdman), l’oscar du meilleur réalisateur attribué pour la deuxième fois de suite à Iñárritu plutôt qu’à Miller semblait marquer un renversement.
Leonardo DiCaprio, enfin
Confirmé par l’incontournable oscar du meilleur acteur remis à Leonardo DiCaprio (tellement favori qu’une défaite aurait été une humiliation). Mais les cinq dernières minutes ont été saisissantes : l’outsider Spotlight, lauréat jusque-là de l’oscar du scénario original, a remporté celui du meilleur film.
Un palmarès là encore très pondéré, sans élément dominant, et beaucoup de films à une seule statuette (dont le sensible Room qui vaut à Brie Larson l’oscar de la meilleure actrice). Mais si les vainqueurs des César laissent poindre une idée du cinéma français (indépendant, auteuriste…), le choix de l’Académie des oscars concilie les opposés : à la fois les coups d’éclat formels démiurgiques (génial pour Miller, un peu clinquant pour Iñárritu) et un cinéma à la facture très humble où un classicisme élégant se met au service de son sujet (Spotlight).
Des discours de remerciements très politiques
On attendait de voir comment la cérémonie allait faire un sort à l’accusation de whitesplaining (ou, autrement dit, de racisme anti-Noirs) provoquée par les nominations. Le discours liminaire de Chris Rock (“Welcome to the white people choice’s awards”) a décoché des flèches en tous sens, relayées par des sketches ajoutant un peu d’huile sur le feu.
Toute la cérémonie a été marquée par des prises de parole incisives : celle de Sam Smith dédiant son oscar de la meilleure chanson à la cause LGBT, Leonardo DiCaprio rappelant la gravité de la crise climatique avant d’inviter chacun à se battre contre les gouvernements, Iñárritu appelant de ses vœux un temps où la couleur de peau serait aussi indifférente que celle des cheveux. Enfin, le statement le plus percutant : Adam McKay, recevant l’oscar de la meilleure adaptation pour The Big Short – Le casse du siècle, a prévenu : “Si vous ne voulez plus que la finance tienne toutes les ficelles, arrêtez de voter pour des candidats milliardaires.” Qu’il soit entendu.
Les Inrockuptibles, n°1057, disponible en kiosques le mercredi 2 mars, dans notre boutique et en intégralité sur notre site premium
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