L’auteur d’A perdre la raison dissèque les mécanismes de séparation d’un couple. Une guerre des sexes au tempo impeccable.
Tout est dans le titre. Comment accoler deux termes à priori aussi antinomiques qu’“économie” (soit des chiffres et statistiques) et “couple” (soit l’amour) ? Et “l’économie du couple”, quésaco ? Les variations et fluctuations du cœur et du désir ? Où l’expression imagée qui signifierait “supprimer le couple” comme on dirait “faire l’économie de ses efforts” ?
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Tous ces signifiés possibles sont présents de manière latente dans le film de Joachim Lafosse, mais le plus présent, le plus central est son sens le plus évident : un couple marié avec enfants, c’est aussi un budget, un train de vie, et quand le couple vient à se séparer, c’est toute cette architecture financière qui explose.
La lutte des classes au niveau intime
L’Economie du couple n’est donc pas un conte (ils s’aimèrent pour toujours et eurent beaucoup d’enfants) mais le tableau réaliste de ce qui se passe après la fin des contes, et très souvent dans la vraie vie. Et c’est là qu’intervient la question économique, déplaisante, absolument pas romantique, mais qui déchire la plupart des couples en instance de divorce.
Dans le film, c’est le domicile conjugal qui achoppe : payé avec les sous de madame (et son père), mais grandement valorisé par les travaux de monsieur. Madame veut foutre monsieur dehors puisqu’elle est chez elle. Mais monsieur ne partira pas tant qu’il n’aura pas son tiers du bien gagné à la sueur de son front. C’est la lutte des classes au niveau intime, le travail contre le capital version chambre à coucher, la politique qui commence chez soi.
La roue de l’empathie et de l’antipathie
Lafosse (et ses coscénaristes Fanny Burdino et Mazarine Pingeot) tricote admirablement cette guerre des sexes complexifiée par un entrelacs de sentiments, de gros sous et de dignité sociale et affective, se gardant de prendre parti pour l’un ou l’autre des combattants, rendant justice aux raisons de chacun, faisant tourner la roue de l’empathie et de l’antipathie de l’un à l’autre, dans un huis clos en évolution permanente qui ne se fige jamais dans l’ennui.
Et puis, il y a les enfants : attestation toujours vivante de ce que fut l’amour du couple, êtres à part entière auxquels il faut dire la vérité tout en les préservant, monnaie d’échange voire de chantage affectif entre les parents… toute cette matière pas toujours glorieuse qui sous-tend la famille nucléaire est ici finement montrée.
Acteurs au sommet
Si la mise en scène et le tempo de Lafosse sont impeccables (notamment pour filmer la maison, à la fois espace de vie, de tournage et objet dramaturgique central), un tel film n’aboutirait pas sans le concours d’acteurs au sommet. Bérénice Bejo est remarquable dans un rôle pas toujours facile de grande bourgeoise chieuse et un peu trop sûre de son statut économique et social, alors qu’après Alyah ou Tirez la langue, mademoiselle, le cinéaste Cédric Kahn s’affirme comme l’un de nos meilleurs comédiens.
Avec sa densité physique, son visage qui peut alterner la douceur et la dureté, sa voix chaude et sensuelle, il est l’un des rares acteurs français possédant le charisme minéral des grands américains. Il ne faudrait pas faire l’économie de ce film qui donne un salutaire coup de pied dans l’idéologie conjugalo-familialiste.
L’Economie du couple de Joachim Lafosse (Fr., Bel., 2016, 1 h 40)
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