La publication des écrits de Hollis Frampton, grande figure du cinéma expérimental, permet d’approcher le secret de ce praticien de l’art du conte et du récit labyrinthique. Hollis Frampton pratiquait la photographie, le cinéma expérimental et l’écriture, admirait Ezra Pound, Varese, Joyce et Eisenstein, fréquentait Stan Brakhage et Frank Stella. A le lire, tout prenait […]
La publication des écrits de Hollis Frampton, grande figure du cinéma expérimental, permet d’approcher le secret de ce praticien de l’art du conte et du récit labyrinthique.
Hollis Frampton pratiquait la photographie, le cinéma expérimental et l’écriture, admirait Ezra Pound, Varese, Joyce et Eisenstein, fréquentait Stan Brakhage et Frank Stella. A le lire, tout prenait de la valeur au contact de sa curiosité, de sa logique amusée par laquelle il aimait surprendre et provoquer (un rire, une réflexion). Il pouvait abuser des anecdotes, comme celle-ci qui résumait toute expéri- mentation : « Le pionnier de la chirurgie du cerveau demandait à ses jeunes assistants « Pourquoi avez-vous fait médecine ? Pour secourir les malades. Mais n’avez-vous aucun plaisir à taillader la chair et l’os ? » Voilà. Sa « métahistoire du cinéma » était surtout celle du plaisir, car un art, disait-il, apparaît uniquement au moment où une ère se dissout, où la fonctionnalité d’une activité tombe dans une vétusté totale et ne produit enfin plus qu’un plaisir intellectuel, un moyen de survie psychique. Une déduction qui lui permettait dès lors d’écrire que « l’art de faire des films consiste à concevoir des choses à mettre dans notre projecteur », ce qui ouvre un champ illimité qui va de Lana Turner à un cure-dents, voire rien, tant ce rien donnerait sur un rectangle blanc le film le plus parfait. Dans cette vision élargie du cinéma, le sujet essentiel de tous les films devient le film lui-même, comme pur plaisir psychique. La pellicule n’est plus qu’une part sensible d’une grande machine insomniaque : le film infini.
Il haïssait les scénarios et leurs climax poussiéreux mais chérissait jusqu’à l’envi l’art du conte, du récit labyrinthique (ce qui en faisait un Borges arty new-yorkais). Surtout, il pratiquait la correspondance. Correspondre, faire correspondre, correspondre pour faire correspondre. Son activité théorique commençait souvent par une lettre à un ami où il décrivait une rencontre entre de lointains événements. Comme il détestait les faits, il n’envisageait les choses que dans une portée infinie. Il travaillait l’écho indirect des choses. Ecrire sur lui revient encore et toujours à lui répondre, à perpétuer cet écho.
Donc, cher Hollis Frampton, je vis depuis quelques jours avec vos écrits, par la grâce de ce premier volume de vos écrits enfin traduits en français, quinze ans après votre mort. Ce retard n’affecte en rien l’originalité de vos idées. Leur puissance reste intacte : pour exemple, il aura suffi que Trafic publie l’un de vos textes pour que Jean-Luc Godard vous découvre et immédiatement vous cite dans ses Histoire(s). Vous y êtes par ailleurs le seul cinéaste expérimental.
Votre présence étant absolument indissociable de vos écrits, je m’arrête, entre les pages, sur deux autoportraits. Le premier vous montre à 23 ans, en 1959, sérieux comme un pape. Vous avez l’allure boutonneuse d’un écrivain russe du xixème siècle. Ou de je ne sais quoi de poétique et gauche. Le second date de 1975, ce n’est pas précisément une photographie mais un alliage de signes traités par ordinateur, où vous apparaissez par addition, ressemblant autant à Georges Perec qu’aux trois Freaks Brothers réunis, stoned et réjoui. Entre cette photo celluloïd et cet abysse signalitico-informatique, il y a beaucoup de votre oeuvre : la pose du dandy dans ce qu’elle peut avoir de productif (objets d’élection, élégance de la radicalité), amusement devant le joujou technique, un humour sous-jascent à la colle avec une érudition sidérante. Et un regard porté vers l’invention d’une question. On lit surtout l’amitié dans ces deux photographies, mais avec cette part de nostalgie et de perte, d’infini contrarié. On y voit le vertige d’une idée : tout est filmable (une pomme, un scénario, le néant) mais ce qui est saisi est donné à la mort.
Ces photos sont fragiles à contempler. Tout chez vous tient d’un équilibre magique dont la fragilité, la disparition et le furtif sont les centres. En 1971, pour votre film Nostalgia, vous brûliez treize de vos photos pour lesquelles vous aviez la gorge serrée… Rien ne devrait jamais s’arrêter. L’insomnie est bien, comme vous l’écriviez, la muse du cinéma, ce grand film infini.
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