Le cinéaste revisite l’Amérique de son enfance avec un efficace thriller mélodramatique.Et sert un oscar sur un plateau à Angelina Jolie.
Comme tous les artistes qui produisent régulièrement et qui vieillissent, Clint Eastwood est “victime” d’une certaine forme d’accoutumance. Comme avec Woody Allen, Claude Chabrol, ou Patrick Modiano en littérature, on s’habitue inconsciemment, la vibration extrême de la surprise devient rare, on se glisse confortablement dans les retrouvailles avec un créateur familier et on évalue avec un rien de routine la qualité du nouveau millésime. Ainsi, du moins à nos yeux, le cru Eastwood 2008 est bon, mais pas exceptionnel.
Inspiré d’un invraisemblable fait divers qui défraya la chronique à Los Angeles dans les années 20, L’Echange raconte l’histoire de Christine Collins, standardiste élevant seule son fils de 8 ans. Ce dernier disparaît un jour. La police le retrouve quelques semaines plus tard : léger problème, le garçonnet n’est pas son fils. S’ensuit un bras de fer entre le pot de terre Collins qui veut retrouver sa vraie progéniture et le pot de fer de l’institution policière qui veut à tout prix afficher un succès pour redorer son blason.
On retrouve dans L’Echange une ligne qui traverse tout le cinéma américain depuis les origines, celle opposant l’individu solitaire à la puissance d’un système. Christine Collins vient ainsi compléter la galerie “eastwoodienne” de personnages écartés du rêve américain après Bird, le Honkytonk Man, ou encore la jeune boxeuse de Million Dollar Baby. Collins est ici une figure doublement “faible”, de par sa condition sociale et parce que c’est une femme seule, qui doit affronter des institutions puissantes contrôlées par des hommes, dans une société fortement masculine et patriarcale. Cet aspect prend un tour effrayant dans les séquences de l’hôpital psychiatrique, passages où l’Amérique décrite par Eastwood ressemble à une dictature fasciste ou stalinienne, où règnent l’arbitraire et la violence des appareils de domination. Cette noirceur touche aussi l’enfance, comme dans Mystic River ou Un monde parfait. Des ogres rôdent, dans une société gangrenée par la crise économique où se multiplient les orphelins et autres enfants abandonnés. Cette sombre fresque américaine est portée par un classicisme fluide et tiré à quatre épingles. Clint Eastwood impressionne par la qualité sobre de sa reconstitution historique, l’élégance de ses travellings et fondus-enchaînés et cette aisance avec laquelle il circule du particulier au collectif, brossant à la fois le portrait d’une femme et d’une société. D’où vient alors notre légère réserve ? Peut-être de cette perfection justement, du sentiment que le film défile comme du papier à musique, sans fausses notes, mais sans surprise non plus, comme si tout semblait joué d’avance. Cet excès de maîtrise est incarné par la performance d’Angelina Jolie, qui porte le film sur ses graciles épaules : techniquement irréprochable, le travail de madame Pitt est taillé dans le bois dont on fait les oscars. Ce qui résume un film impeccablement peaufiné, qui assure son programme sans jamais se laisser déborder.
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