Après « La Vie d’Adèle » et la polémique avec Kechiche, Léa Seydoux s’est faite plus discrète. On la retrouve en plein grand écart : « Journal d’une femme de chambre », version Benoît Jacquot, sort la semaine prochaine, pendant qu’elle tourne le prochain James Bond. Balade à Londres avec un caméléon.
Driiing. Il est 14 heures à Londres, par un dimanche passablement ensoleillé et nous sonnons à la chambre de Léa Seydoux. Depuis près de cinq mois, la comédienne vit dans cet hôtel de Covent Garden. Motif de cet exil britannique : elle tourne Spectre, le nouveau volet de la saga 007, toujours sous la houlette de Sam Mendes. La porte ne s’ouvre pas tout de suite ; on trépigne un peu dans le couloir tapissé de fleurs bleues très british ; on insiste et au second tintement de sonnette, la porte s’ouvre lentement sur l’actrice en pyjama d’homme, le cheveu ébouriffé et la figure chiffonnée de quelqu’un qui s’est réveillé il y a cinq minutes. “Excusez-moi, on a tourné toute la nuit”, nous dit-elle dans un souffle. A la hâte, et tout en s’étirant comme une enfant, elle montre au photographe les vêtements qu’elle a choisis pour le shooting de couve. Et tandis que sa coiffeuse et sa maquilleuse aiguisent leurs outils, elle clôt ce prélude par un enjoué : “Maintenant, donnez-moi une heure”.
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Une heure, c’est le temps qu’il faut à ce caméléon pour opérer sa métamorphose. Une heure plus tard, donc, celle qui nous rejoint est une bombe atomique, entre femme fatale de série noire et vamp du swinging London – mi-Veronica Lake, mi-Emma Peel. Par la suite, à l’issue de la journée de travail, nous rencontrerons une troisième personne dont Léa Seydoux est le nom, un tomboy en jean, baskets et bomber, le visage enfoncé dans un gros bonnet de laine, toute forme féminine effacée, se fondant anonymement dans la foule pour attraper à la bourre son Eurostar.
Mais cette aptitude transformiste ne tient pas seulement à un arsenal de déguisements. Même au plus naturel d’elle-même, il y a chez Léa Seydoux quelque chose de difficile à attraper. Comme un flou résiduel même lorsque le point est fait. Sa beauté est davantage du côté du neutre que du saillant, aisément malléable, propre à être sculptée. François Truffaut écrivait que si les grandes actrices étaient des fleurs, Catherine Deneuve ressemblait plutôt à un vase. Sa réserve, sa neutralité, permettait de les contenir toutes. Il y a quelque chose de cet ordre chez Léa Seydoux. Un creux, un secret, un déficit dans la définition, un léger flottement de l’être, propre à exciter les imaginations et à la construire en idéale surface de projection.
La servante se cabre face à la domination des maîtres
Journal d’une femme de chambre marque ses retrouvailles avec Benoît Jacquot, trois ans après Les Adieux à la reine, qui fut le plus grand succès public de son auteur (près de 540 000 entrées) et un nouveau palier franchi pour son interprète (premier gros succès personnel, première nomination aux César dans la catégorie meilleure actrice – après deux citations en espoir).
Malgré ce succès commun, les retrouvailles ne sont pas allées de soi puisque Léa s’est d’abord désistée du film suivant de Jacquot, 3 cœurs. Elle devait y interpréter la sœur de Charlotte Gainsbourg et fille de Catherine Deneuve – rôle finalement tenu par Chiara Mastroianni. “J’avais envie de tourner à nouveau avec Benoît, mais je ne me voyais pas dans ce rôle. Je n’arrivais pas à y trouver mes marques, à me trouver crédible dedans. En revanche, j’ai eu très envie d’être le personnage de Journal d’une femme de chambre. Au départ, il avait pensé à une autre actrice, j’ai été contente qu’il m’offre le rôle (le film a d’abord été préparé avec Marion Cotillard – ndlr).”
Dans cette nouvelle adaptation du roman d’Octave Mirbeau (paru en 1900), elle est une servante qui se cabre face à la domination des maîtres, rebelle par orgueil et secrètement calculatrice. Lorsqu’on demande à Benoît Jacquot ce qui aimante son désir de cinéaste chez Léa Seydoux, il parle de “la plus grande absence de prétention jamais rencontrée chez une actrice. Léa est dans le doute réel de ses qualités les plus évidentes. Et puis il y a cette part d’enfance très fortement préservée en elle. Je trouve ça très gracieux. Elle a un côté gamine. Et même gamin plutôt que gamine. Elle est incapable de faire la dame. Sa beauté ne se sépare jamais de sa vérité. C’est son côté platonicien (rires)”.
“Marlon Brando. Je le trouve vraiment très inspirant”
Des nombreuses adaptations cinématographiques du roman (dont une aujourd’hui assez rare de Renoir, tournée à Hollywood avec Paulette Goddard), la plus célèbre est celle de Buñuel avec Jeanne Moreau, dont les bottines luisantes déchaînaient les pulsions fétichistes d’un vieux bourgeois lubrique. “Je n’ai pas voulu voir le film de Buñuel, dit Léa Seydoux. Je crois que Benoît n’y tenait pas. Son idée était plutôt de revenir au roman. Et j’avais peur d’être influencée malgré moi par l’interprétation de Jeanne Moreau.” Lorsqu’on lui demande si elle admire Jeanne Moreau, elle répond qu’elle l’aime bien. “Mais je n’ai pas spécialement d’actrices modèles, que j’aurais admirées depuis mon enfance en voulant devenir elles. Les actrices n’occupent pas spécialement mon imaginaire. Bizarrement, si j’ai eu ça, c’est plutôt avec certains acteurs…” Qui par exemple ? “Marlon Brando. Je pense souvent à lui. Je le trouve vraiment très inspirant.”
L’inspiration, c’est peut-être ce qui est venu à manquer justement dans la carrière de la comédienne. Du moins à ses propres yeux. Elle confie en effet que le tournage, très heureux, de ce Journal d’une femme de chambre l’a délivrée de la crise violente qui l’a affectée à l’automne 2013, entre la sortie de La Vie d’Adèle et le tournage du Saint Laurent de Bonello qui a suivi. La comédienne pensait avoir perdu le goût de son métier. “J’avais le sentiment de ne plus savoir jouer du tout, de ne plus comprendre pourquoi je le faisais. Je me sentais vide, inapte. Tous les jours, je luttais contre cette forme de paralysie, où je me persuadais que je n’étais plus capable de jouer. Je me sentais mauvaise. J’envisageais de tout arrêter. C’est vraiment sur le film de Benoît Jacquot que j’ai retrouvé une certaine confiance en moi et surtout un très fort plaisir à jouer.”
Après La Vie d’Adèle, une phase de décompensation
Lorsqu’on l’interroge sur les motifs possibles de cet ébranlement narcissique, elle dit : “Parallèlement, j’ai fait à cette période une rencontre amoureuse très importante. Et ça m’a donné le goût de la vie réelle. J’ai éprouvé tout à coup une fatigue du cinéma, de la fiction, j’ai eu envie de m’attacher à ma propre réalité. Ce qui peut être une très agréable expérience. ”
Il n’est probablement pas indifférent que cette phase de décompensation soit intervenue en pleine sortie houleuse de La Vie d’Adèle, brouille avec Kechiche, amabilités échangées par médias interposés : “Oui, La Vie d’Adèle, c’est à la fois le film pour lequel mon travail a été le plus reconnu, avec la Palme d’or attribuée à égalité à Abdellatif, Adèle (Exarchopoulos – ndlr) et moi-même, et en même temps, je ne me suis jamais autant sentie malmenée, remise en cause. Mais si c’était à refaire, je le referais. Je n’ai pas de problème avec le fait de souffrir. Ça fait partie de la vie. Il faut savoir l’affronter, ne pas en avoir peur. J’ai une arrière-grand-mère qui, un jour, a complètement arrêté de sortir de chez elle parce que le monde lui faisait peur. Jusqu’à sa mort, elle ne voulait plus voir personne, parce que chez elle et seule, elle se sentait à l’abri. Le prix évidemment, c’était de ne plus vivre grand-chose. Je me souviens de l’avoir vue quand j’étais petite. Puis plus jamais, mais on ne m’a pas expliqué ce qui lui était arrivé. Je ne l’ai appris que plus tard. Quand quelque chose me fait peur, je pense parfois à elle. Ça m’a aidée à penser que le risque était finalement moins grand à affronter les choses qu’à s’en protéger.”
Une intense exposition médiatique puis elle s’est faite plus rare dans la presse
La rentrée 2013 fut aussi celle d’une exposition médiatique sans équivalent pour une comédienne française. On se demande si l’actrice, en couverture d’une trentaine de titres de presse français durant cette période, n’aurait pas gagné à l’époque à se protéger davantage. “Peut-être, oui… Mais ça non plus je ne le regrette pas. Ça a commencé avant Cannes, puis il y a eu la Palme d’or, puis la sortie de Grand Central, puis celle de La Vie d’Adèle. Ça n’a pas arrêté. On me proposait une couve par semaine. Ça s’est fait malgré moi, et avec du recul je regarde ce trop-plein médiatique avec humour. Je comprends que ça ait pu agacer ou faire rire. D’ailleurs, la parodie du Gorafi, Léa Seydoux Magazine, m’a bien fait marrer.”
De fait, l’actrice s’est faite plus rare dans la presse. Mais n’a pas arrêté de tourner pour autant. Même si le rythme de travail est soutenu, elle vit le tournage-fleuve de Spectre comme une pause. “C’est assez agréable de vivre à l’étranger plusieurs mois. J’avais déjà vécu longtemps à Londres il y a cinq ans pour le tournage du Robin des bois de Ridley Scott. Mon rôle dans le film n’était pas central, mais ce type de production demande aux acteurs d’être présents
sur les lieux tout le temps, même si pendant plusieurs jours on ne tourne pas. Il faut être disponible. Sur Robin des bois, j’avais trouvé ça très agréable. Ça permet de lire, d’être en observation. Sur Spectre, je suis beaucoup plus impliquée. En tout cas, rester huit mois sur un film, c’est assez fort, on a l’impression de vivre vraiment l’expérience.”
« Avec le James Bond, l’enjeu financier est assez dingue »
Fin mars, cette petite planète que constitue l’équipe du film s’envole pour le Mexique, pour deux mois de tournage supplémentaires. “J’avais déjà tourné dans des superproductions, comme Robin des bois donc, ou encore Mission: Impossible 4, où je m’étais assez amusée, mais là l’enjeu financier est assez dingue. Une journée de tournage normale coûte 2,5 millions de dollars ! Ça met quand même une pression particulière de se dire que si on rate une scène on crame un million ! (rires) Un jour, Sam Mendes n’était pas satisfait de ce qu’il avait tourné. Il a choisi de ne pas utiliser tout ce qui avait été fait et de recommencer, avec quelques changements, le lendemain. Vu les conséquences financières d’une telle décision, elle n’est pas facile à prendre. Mais paradoxalement, c’est parce que l’enjeu financier est si fort que la production ne lésine pas sur de telles dépenses, pour que le réalisateur soit absolument sûr de ce qu’il propose.”
Comment cette pression se manifeste-t-elle sur la direction d’acteurs ? “Sam me demande tout le temps d’être ‘impactante’. C’est vraiment son mot. Il veut que le moindre de mes regards, de mes déplacements, provoque un impact. Je dois veiller à marquer les choses, mettre des silences dans mes répliques, appuyer un regard.” Si elle ne doit contractuellement rien révéler du récit de Spectre, Léa raconte néanmoins que cette fois, contrairement à Mission: Impossible, elle n’est pas la méchante et vit une histoire d’amour avec James Bond. “C’est amusant, remarque-t-elle, longtemps mes amoureux dans les films avaient mon âge. Voire étaient plus jeunes comme dans La Vie d’Adèle. Là, coup sur coup, j’ai une histoire avec un homme qui a une vingtaine d’années de plus que moi, Vincent Lindon puis Daniel Craig. C’est nouveau. Je crois que mon âge est perçu différemment, qu’on me voit moins comme une très jeune fille.”
De fait, elle a souvent joué des personnages plus jeunes qu’elle. A 22, 23 ans, elle jouait encore les lycéennes (La Belle Personne de Christophe Honoré, Belle Epine de Rebecca Zlotowski). Et à 29 ans, elle n’a jamais été castée dans un rôle de mère. “Sauf dans L’Enfant d’en haut d’Ursula Meier, où on découvrait à la fin que le petit garçon qui m’accompagnait n’était pas mon petit frère mais mon fils. Mais justement, il fallait que ça paraisse invraisemblable à l’écran que j’aie un enfant de cet âge. Sinon, en effet, on ne pense toujours pas à moi pour des rôles de mère ! Enfin, j’ai l’impression que ça devrait venir assez vite, maintenant.”
Un parcours atypique entre cinéma d’auteur et films commerciaux
Son proche avenir d’actrice, Léa Seydoux le voit plutôt avec des cinéastes étrangers. Son parcours s’est construit sur une drôle d’alternance : en France du cinéma d’auteur, à Hollywood des films commerciaux. Avec pour exception La Belle et la Bête de Christophe Gans, sa seule grosse production made in France dont elle ne paraît pas entièrement satisfaite. “En ce moment, j’ai un peu envie de me concentrer sur le cinéma international. J’ai envie de tournages à l’étranger, d’équipes à nationalités multiples.”
Avant de commencer l’épopée Spectre, elle a tourné en anglais un film international d’un jeune auteur grec, Yorgos Lanthimos. L’auteur remarqué de Canine (prix Un certain regard, Cannes 2009) plonge l’actrice dans un conte inquiétant en huis clos, où (c’est à la mode) les humains se métamorphosent en animaux. A ses côtés postulent aussi au devenir-animal Colin Farrell, Ben Whishaw (qu’elle a retrouvé sur le James Bond, où il incarne Q, le geek bricoleur), Rachel Weisz (Madame Craig à la ville, tout préfigurait James Bond) et John C. Reilly, nounours facétieux croisé dans les productions Apatow. “J’ai adoré John C. Reilly. C’est quelqu’un de merveilleux.” Le film sera probablement présenté à Cannes dans deux mois. Et après ? Peut-être du théâtre, un film en français avec un cinéaste étranger (mais elle ne veut pas encore en parler)…
Madeleine Swann !? Vraiment ?
Dans l’Eurostar qui nous ramène à Paris, on cherche sur le net si des infos n’auraient pas filtré sur ce projet qu’elle nous dissimule. En vain. Ce qu’on trouve en revanche, et qui nous ravit, c’est le nom de son personnage dans Spectre : Madeleine Swann. Madeleine Swann !? Vraiment ? Mais de quelles réminiscences sera porteuse cette Madeleine ? Le spectre du titre sera-t-il de Proust ou de Vertigo (autre Madeleine liée à la mémoire) ? Et Christoph Waltz qui interprète le méchant aura-t-il pour titre baron de Charlus ? Une chose est certaine en tout cas, James Bond cette année sera un amour de (Madeleine) Swann. On dit pourtant qu’il n’était pas son genre.
Journal d’une femme de chambre de Benoît Jacquot, avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Clotilde Mollet (Fr., Bel., 2015, 1 h 36), en salle le 1er avril
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