La source d’inspiration marseillaise de Robert Guédiguian serait-elle tarie ? Avec « Le Promeneur du Champ-de-Mars », le cinéaste nous entraînait déjà bien loin du décor méditerranéen et de l’ambiance familiale caractéristiques de son univers pour investir des hauts lieux de pouvoir et de solitude nettement moins chaleureux.
Certes, le souci politique était toujours là, mais plus ambitieux, et porté par une expression glacée et incisive marquant un vrai changement dans son œuvre. Si Le Voyage en Arménie renoue avec le cinéma artisanal de troupe cher à Guédiguian, un désir de renouvellement demeure et se manifeste dans le mouvement d’éloignement de Marseille dessiné par le film. Tel un fleuve qui charrie dans son cours divers limons, tantôt portés à la surface, tantôt enfouis dans les profondeurs sous-marines, l’œuvre de Guédiguian draine elle aussi divers éléments Ð acteurs, personnages, idées Ð faisant l’objet de combinaisons sans cesse redéfinies dans une dynamique bouillonnante.
Ainsi, du Promeneur… à ce Voyage en Arménie, on retrouve non seulement l’acteur, Jalil Lespert, emporté par ce courant chaud pour se mêler à la ronde des acteurs fétiches du cinéaste, mais aussi et surtout le thème de la filiation. Celui-ci prend ici un autre visage : les traits d’une femme, Ariane Ascaride (le retour), qui quitte une semaine sa ville, Marseille, pour partir à la recherche de son père en Arménie. La perspective d’une opération du cœur fait fuir le vieil homme dans son pays d’origine. Avant de partir, il laisse en évidence chez lui quelques indices pour permettre à sa fille unique de le retrouver si elle le souhaite et de lui faire vivre une expérience qui apprenne à cette femme médecin pleine de certitudes à douter.
Irritée au plus haut point par l’inconséquence de son père malade, Anna, mariée et mère d’une Jeannette (Madeleine Guédiguian, sa propre fille Ð elles se ressemblent comme deux gouttes d’eau Ð), décide de mettre pour la première fois les pieds sur la terre de ses ancêtres. D’emblée, Robert Guédiguian (qui cosigne le scénario du film avec Ariane Ascaride et l’écrivaine Marie Desplechin) dévoile la visée initiatique de ce voyage, et sa volonté d’ébranler les convictions humaines, politiques de cette femme. L’annonce de ce programme constitue un premier handicap pour le film, qui se prive ainsi d’un certain pouvoir de mystère, d’identification et de révélation.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le caractère peu nuancé du personnage d’Anna n’arrange pas vraiment les choses : le type de femme qu’elle représente, autoritaire, grande gueule au grand cœur, rend particulièrement irritants et prévisibles beaucoup des échanges qui ont lieu dans le film, notamment ceux qui opposent Ariane Ascaride à Gérard Meylan, frôlant la caricature des personnages qu’ils ont déjà interprétés ensemble.
Ce trait autoréférentiel un peu trop appuyé aurait pu passer si le film ne s’était pas perdu dans des débats platement contrastés sur l’identité pour rester concentré sur l’action, le mouvement, plus aptes à soulever la complexité de cette rencontre avec un pays à la fois étranger et familier, puisque terre d’origine du personnage. Tiraillé entre le gožt de l’aventure (que l’on aurait aimé plus abouti) et une propension aux bavardages un peu trop explicatifs, le film réduit ses chances de questionner l’inconnu, figé dans la reproduction des poncifs d’un univers cinématographique que l’on a connu plus apte à se renouveler.
Et la filiation, dans tout ça ? Elle pâtit de l’éventail des thèmes abordés par le cinéaste (le capitalisme naissant, le génocide arménien, les racines, les différences culturelles, l’émigration) et ne semble plus au bout du compte qu’avoir été un prétexte à ce voyage plutôt que son moteur intime, comme si Guédiguian avait craint d’aborder plus directement la question de son origine ,dont son propre nom arménien témoigne. Ne restent alors que de brefs moments de poésie et de cocasserie, perdus dans la multiplicité des horizons envisagés.
{"type":"Banniere-Basse"}