Des moines nus, des ours amoureux, une star nympho : une comédie hétéro-queer en haute altitude par les auteurs dyonisiaques de « Peindre ou faire l’amour ».
Un voyage peut en recouvrir un autre. Aurore (Sabine Azéma) et Alexandre (Jean-Pierre Darroussin), un couple de comédiens connus (“la plus célèbre de France”, dit même de son épouse Alexandre – qui, lui, doit par contre subir la vexation d’être confondu par un journaliste local avec André Dussollier), arrivent pour quelques jours de vacances dans un village juché sur le flanc des Pyrénées. Très vite, ce charmant couple de quinquagénaires s’avère partiellement dysfonctionnel. Bien que manifestement toujours très épris l’un de l’autre, Alexandre et Aurore n’ont plus de rapports sexuels depuis des lustres. “N’insiste pas, on s’arrange bien comme ça depuis des années”, lance Aurore pour rabrouer son époux qui tente un rapprochement. Mais cette évaporation de la sexualité conjugale a trouvé depuis quelque temps chez elle une étonnante contrepartie. Elle ne peut plus croiser le regard d’un homme sans lui adresser des avances sexuelles généralement suivies d’effets. Cette obsédante compulsion, avoue-t-elle à un drôle de villageois d’origine asiatique, a commencé quelque temps plus tôt lors d’un séjour en Italie.
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Avant le Voyage aux Pyrénées, il y a donc eu un voyage en Italie. Le souvenir, convoqué à la fois par le titre et le scénario, de ce film absolu sur le délitement puis le salut d’un couple qu’est Voyage en Italie – réalisé il y a plus de cinquante ans par Rosselini –, n’est pas anodin. D’un voyage à l’autre, des ruines de Pompéi aux cimes des Pyrénées, la quête d’un couple qui voyage est toujours la réactivation du désir, le dépassement de son usure dans la monotonie de la conjugalité, la possibilité d’une grâce qui restituerait l’élan amoureux et l’aimantation charnelle des premières heures.
La grâce chez Rossellini est spirituelle. Elle défie la dégradation de la matière (ce jeune couple inhumé dans les ruines de Pompéi) ; elle survient lors d’une fête religieuse villageoise que traverse le couple d’Américains. Chez les Larrieu, elle prend un tour nettement plus panthéiste et substantiel. Et si le religieux est ici aussi à son affaire, il prend le visage bonhomme et hilarant d’un trio de moines hédonistes emmené par Philippe Katerine. Ils appartiennent à “l’Ordre de la grande gaieté”, se foutent à poil pour célébrer la naissance d’une source en entonnant “la terre a soif, la terre a soif !” et s’inventent d’étonnants cantiques comme “Béni soit celui qui a vu/la joie de la dame nue/Bénis soient les fruits rouges des bois/qui la remplissent d’émois”.
Ici le salut n’est pas vertical, ne s’apparente pas à une lumière céleste qui éclaire soudain le triste cafard des hommes, mais plutôt à un principe d’échange et d’inversion strictement horizontal. L’échangisme, plébiscité dans Peindre ou faire l’amour, n’était que la première étape du cinéma des frères Larrieu dans son exploration des vertus de l’échange. Ici, tout s’échange : la place des hommes et celle des animaux (avec son ahurissant épisode de la femme-ours), puis celle des hommes et celle des femmes dans une dernière ligne droite absolument stupéfiante dont on ne révèlera pas ici la teneur. Il aura fallu traverser plusieurs frontières pour que soit consommée la comédie de remariage, frayer avec les bêtes, inverser les genres, renverser même des montagnes (cet étrange générique de fin où les Pyrénées sont filmés la tête en bas), pour réembrancher l’homme et la femme sur l’électricité du désir.
Avec ce Voyage aux Pyrénées aussi généreux qu’extravagant, partis d’un canevas rossellinien pour arpenter un picaresque sexuel transgenre à la Blake Edwards, les Larrieu réussissent le tour de force d’un film à la fois très hétérosexuel et très queer. L’air qu’on y respire est aussi vivifiant que celui de la haute montagne.
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