Tout en brossant un tableau idyllique de la campagne japonaise, Yoichi Higashi mêle fantastique et réflexion sociale. Seizième long métrage d’un réalisateur inconnu au bataillon, Yoichi Higashi, contemporain d’Oshima et Imamura, Le Village de mes rêves est un récit quasiment idyllique, dénué des noirceurs coutumières du cinéma nippon. Se présentant comme un long flash-back sur […]
Tout en brossant un tableau idyllique de la campagne japonaise, Yoichi Higashi mêle fantastique et réflexion sociale.
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Seizième long métrage d’un réalisateur inconnu au bataillon, Yoichi Higashi, contemporain d’Oshima et Imamura, Le Village de mes rêves est un récit quasiment idyllique, dénué des noirceurs coutumières du cinéma nippon. Se présentant comme un long flash-back sur l’enfance de deux jumeaux, Yukihiko et Seizo Tashima, dessinateurs réputés au Japon, le film est une célébration de la nature d’un environnement campagnard où les deux frères espiègles font les quatre cents coups à l’instar des héros de Mark Twain. Ce regard nostalgique et convenu sur l’enfance, vaguement renoirien, relèverait d’un hédonisme béat s’il ne débouchait sur une forme de réalisme fantastique. En effet, en contrepoint de la vie villageoise, on assiste à des manifestations surnaturelles qui intensifient le rapport des personnages avec le monde qui les entoure. Citons notamment la plus belle scène du film, celle de la baignade dans la rivière où les frères pêchent et passent le plus clair de leurs loisirs. Ne sachant pas nager, l’un des jumeaux perd pied et, sous l’eau, perçoit l’appel attirant d’un mystérieux esprit des profondeurs. Ces prolongements irrationnels dotent, par petites touches, ce film apparemment limpide et sans histoires d’une étrangeté familière (une « heimliche Unheimlichkeit », aurait pu dire le père Freud) qui entre en résonance avec la mystique animiste d’Extrême-Orient. Une dimension exacerbée par l’apparition récurrente de trois vieilles sorcières parfois perchées sur un arbre comme des corbeaux qui commentent les événements du village à la manière d’un chœur grec, tout en exerçant certains de leurs pouvoirs sur les habitants.
Mais le film ne se cantonne pas à ce rapport onirique avec les éléments. On y trouve également une réflexion sociale. En particulier sur le système de castes. Une camarade de classe des jumeaux se rend pieds nus à l’école : elle appartient à une famille de burakumin, catégorie d’artisans très modestes considérés comme la lie de la société au Japon alors que les gangsters (yakuzas) y sont respectés , l’équivalent des intouchables indiens. Un autre enfant, Senji, petit garçon hors caste à demi sauvage, condisciple et ami des jumeaux, est craint et rejeté par la population. Il disparaît aussi mystérieusement qu’il était apparu. Intermédiaire entre la nature magique et les deux frères qui l’explorent, il s’avère presque l’incarnation d’un esprit, une sorte d’elfe à visage humain. Peut-être faut-il le voir aussi comme une allégorie de l’artiste, individualité autonome mal acceptée dans une communauté grégaire fonctionnant comme un vaste organisme. La poésie agreste du film doit beaucoup à cette contamination constante d’un récit propret par des accents fantastiques qui font entrevoir une réalité inquiétante tapie sous la surface riante et verdoyante de la campagne nippone.
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