Après le catastrophique « Deuxième Souffle » d’Alain Corneau, un film noir vraiment traversé par le souffle de Melville. Elégant et blême.
Disciple de Jean Douchet, ex-rédacteur aux Cahiers du cinéma, fan de cinéma américain des années 70, Cédric Anger signe là son premier long métrage. Le Tueur est donc un film de cinéphile, un polar contemporain recelant les beautés et limites du geste esthétique d’un cinéfils qui n’a pas tué ses pères.
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Cédric Anger s’appuie sur un synopsis archétypal et minimal : un tueur, sa proie, une fille entre eux. A partir de ce canevas, Anger se livre à une série de figures libres ou imposées par le genre : des hommes dans des situations d’attente, des ambiances de crépuscules ou de petits matins blêmes, les lieux anodins ou froids de l’urbanité contemporaine (immeuble d’affaires, gargotte mexicaine standard, chambre anonyme de chaîne hôtelière…), une traque dans un centre commercial, une exécution à l’intérieur d’une voiture sous la neige filmée depuis l’extérieur…
Tout cela coule avec beaucoup d’élégance – travellings soyeux, belle photo à dominante métallique bleutée de Caroline Champetier – et offre une vision très contemporaine de Paris. Comme avec certains Assayas, la facture plastique du Tueur l’inscrit dans un fantasme de cinéma américain ou international plutôt que franco-français. Ajoutons que les acteurs sont bons, particulièrement Grégoire Colin, qui surprend en homme clivé, moitié gouape tueuse, moitié ado mal dégrossi. La limite du film est liée à sa nature d’exercice de style. Anger est manifestement sous influence Coppola, De Palma, et peut-être aussi Melville avec détour par le polar hong-kongais, mais si Le Tueur revêt la peau, la surface, l’apparence de ses pères, il manque un peu de chair.
Quand De Palma empruntait les pas d’Hitchcock, il ne se contentait pas de le citer mais infusait dans son maniérisme ses propres obsessions sexuelles, sa propre vision politique de l’Amérique. Anger ne creuse pas ses influences par des préoccupations personnelles fortes, mais greffe à Paris le cinéma qu’il aime, avec des personnages qui sont plutôt des figures. Quand ils sont investis de sentiments, de psychologie, ils deviennent moins intéressants que quand ils sont juste des corps évoluant dans la ville. Ce qui reste en tête, c’est la stylisation, le formalisme. On sent que ce qui intéresse avant tout Anger, c’est la mise en scène, comme fin plutôt que comme moyen. Le Tueur, ce sont de jolies gammes de fan, une épure melvillienne quand même assez belle.
Serge Kaganski
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