Une passionnante quête métaphysique dans les hauteurs de l’Everest conduite par une animation en état de grâce.
“Il est des entreprises pour lesquelles la vraie méthode est un désordre intentionnel.” C’est ainsi qu’Herman Melville tentait d’expliquer la quête impossible du capitaine Achab dans Moby Dick. Il y a des hommes pour qui le cadre confortable de l’existence terrestre ne suffit pas, qui se sont mis en quête de quelque chose d’autre, d’un moment de grâce, d’un instant de vérité que le monde offre dans ses recoins les plus inatteignables, à cet endroit même où la physiologie humaine est mise face à ses limites les plus extrêmes et devra, nécessairement, finir par s’incliner. Cette quête sublime parce qu’absurde, le cinéma en a fait un objet d’étude privilégié. Que ce soit le cœur de l’Amazonie (The Lost city of Z), les profondeurs de l’océan (Le Grand Bleu), ou les confins de l’univers (2001, l’Odyssée de l’espace et Solaris). Ce sont des voyages dont on ne revient pas.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
À celle liste de héros tragiques, il faudra désormais ajouter le nom de l’alpiniste Habu Jôji, l’un des personnages du Sommet des Dieux, un célèbre manga de Jirō Taniguchi publié en plusieurs tomes au début des années 2000 et adapté en film d’animation par Patrick Imbert.
Remarqué pour son travail d’animateur sur Avril et le monde truqué et Ernest & Célestine, puis récipiendaire en 2018 du César du meilleur film d’animation pour le Grand Méchant Renard et autres contes, le réalisateur français orchestre ici une quête métaphysique, aussi passionnante que saisissante de beauté, autour du monde alpin et des hommes qui l’habitent.
>> À lire aussi : “L’Étang du démon” de Masahiro Shinoda, film à la fois imparfait et nécessaire
Un sommet sans sommet
Le film nous plonge dans la capitale népalaise de Katmandou alors que Fukamachi, un reporter japonais spécialisé dans le sport alpin aperçoit Habu Jôji, un alpiniste que l’on pensait disparu depuis des années. Dans les mains de ce dernier, le reporter croit reconnaître un appareil photo qui appartenait à l’un des hommes qui s’est approché au plus près du sommet de l’Everest en 1924 (soit 30 ans avant sa première ascension officielle) sans jamais savoir s’il l’alpiniste en était venu à bout. Propulsé dans cette enquête qui pourrait changer le cours de l’histoire de l’alpinisme, Fukamachi tente de retrouver la trace d’Habu et découvre un monde cruel et sans concession.
Situé au point de rencontre de la ligne claire belge et de la stylisation du manga, Sommet des Dieux est une réussite visuelle qui rend compte de l’ambivalence du monde alpin (sa beauté et son accalmie qui en une fraction de seconde peut se changer en monstre ingurgitant ses visiteur·euses) qu’un portrait fascinant sur ces héros tristes, forcément tragiques parce que leur quête n’a pas de fin et qu’elle semble impossible d’épouser autrement que par la mort.
“Une fois là-haut, il n’y a plus qu’à continuer”, confesse Habu, presque désabusé. C’est un sommet sans sommet. Subsiste alors une question : pourquoi s’y mesurer ? Le film n’en dira rien. Peut-être parce ce que ces danseur·euses des cimes sont précisément les dernièr·es à en connaître la réponse.
Le Sommet des Dieux de Patrick Imbert, en salle le 22 septembre
{"type":"Banniere-Basse"}