Une famille recomposée marquée par un deuil. Chronique toute en fines nuances.
Depuis des années, l’actrice Marilyne Canto illumine le cinéma français de son charme piquant, de sa beauté discrète, de son regard qui respire l’intelligence, aussi à l’aise dans la comédie que dans des registres plus sombres. Elle a tourné avec des cinéastes marquants (Garrel, Biette, Le Roux, Poirier, Cabrera…) mais il lui a peut-être manqué jusqu’ici un premier rôle dans un bon film un peu populaire pour qu’elle accède à la plus large reconnaissance que son talent mérite.
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C’est peut-être pour cela (et sans doute plein d’autres raisons) qu’elle a fini par s’offrir elle-même ce cadeau en réalisant son premier long métrage (après quand même plusieurs courts).
Elle y est Elise, conférencière au Louvre, vivant seule avec son fils de 10 ans depuis la mort accidentelle du père, entretenant une relation accidentée avec Paul, vendeur de disques rock aux Puces. Si Le Sens de l’humour n’est pas strictement autobiographique, les échos du réel y résonnent à justes doses : Canto a elle-même perdu prématurément son premier compagnon, le regretté comédien Benoît Régent, et Paul est joué par Antoine Chappey, monsieur Canto à la ville, auquel on peut adresser les mêmes compliments et commentaires qu’à sa compagne.
Ces deux-là suscitent chez le spectateur un mélange de séduction et d’empathie irrésistible. Dans ce film, ils sont complétés, et même augmentés, par l’excellent Samson Dajczman, qui joue le gosse hanté par le deuil et tiraillé par mille questions avec une justesse admirable dans le nuancier affectif propre à cet âge-là et aux familles reconfigurées.
Avec beaucoup de finesse, de subtilité, un vrai tact dans les non-dits ou ellipses parlantes (mais aussi les dits virulents), Canto tresse deux mailles principales : les interrogations existentielles et affectives d’un gamin privé de père, et les soubresauts d’une relation de couple recomposé, le tout sur fond de deuil. Fils, lycéen, juif orphelin, mère, amante, amant, beau-père potentiel, chacun cherche sa juste place, son nouvel équilibre, son nouvel ordre affectif, dans un paysage sourdement dévasté par le vide de l’être manquant.
En plus de tout ça, de cette façon de montrer qu’un deuil est plus insidieux et silencieux que les pleurs ou crises attendues, Canto filme avec élégance et simplicité les appartements et quartiers parisiens, s’autorisant aussi une traversée express du Louvre qui fait sans doute écho au Bande à part de Godard.
Le Sens de l’humour de Canto, ce n’est pas la transgression haineuse à la mode (sens interdit, impasse), c’est infiniment plus subtil, complexe, constructif et sympathique : la boussole que l’on donne à l’existence et à son être au monde, une façon d’aborder les événements les plus lourds avec une certaine légèreté qui ne serait pas synonyme de désinvolture mais de pudeur, une élégance de l’âme.
Charme, discrétion, intelligence, comédie et drame subtilement mixés… ce film ressemble décidément à son auteur. Et fait de nous, plus que jamais, des aficionados.
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