Une Américaine d’origine palestinienne revient sur les traces de sa famille. Un premier film émouvant.
Ces dernières années, la bonne santé du cinéma israélien pouvait soulever des interrogations quant à la présence, plus spasmodique, de son pendant palestinien – dans leur projet commun de construire un discours politique du “milieu” autour du conflit, celui de la médiation et de l’apaisement. Reste qu’on ne désignera jamais Israël sous la dénomination « Palestine historique » dans un film d’Amos Gitaï, de la même manière qu’il était peu question de kamikazes dans Intervention divine, le beau film d’Elia Suleiman.
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Parce qu’un cinéaste tente d’abord d’analyser sa propre souffrance – et celle liée à l’histoire de son pays –, il est bon qu’un enjeu aussi viscéral qu’Israël passe au crible d’un ensemble de points de vue, dans un équilibre des forces et des affects. Cette timidité du cinéma palestinien témoigne aussi, malheureusement, d’un pouvoir en place qui ne facilite pas les déplacements. En 2002, Suleiman était tout simplement interdit de tournage en Israël, et son film est d’ailleurs tout entier dramatisé autour d’un check-point infranchissable.
Le premier long métrage d’Annemarie Jacir, – en sélection à Cannes dans la section Un certain regard – a lui-même connu quelques déboires : l’acteur principal palestinien a dû se faufiler en secret jusqu’à Ramallah (Cisjordanie) parce qu’ayant la nationalité israélienne il ne pouvait accéder à la ville ; à l’inverse, une partie de l’équipe cisjordanienne n’avait pas le droit de quitter Ramallah.
Le cinéma comme héroïsme, courage physique, trouve son argument cinématographique dans ce système de frontières arbitrairement fermées, d’interdictions d’accès. Une première scène très réussie montre l’héroïne – Soraya, 28 ans, née et élevée à Brooklyn, venue s’installer en Palestine, le pays d’où sa famille s’est exilée en 1948 –, débarquant à l’aéroport et faisant l’objet d’une fouille intrusive.
C’est le sas de résistance qui inaugure tous les suivants, plus ou moins symboliques, plus ou moins violents, auxquels il faut se plier : mur de ferraille, barbelés, interrogatoires, check-points. Mais la docilité n’a qu’un temps. Avec un héros de passage et son Sancho Pança – eux ne rêvant que de partir –, ils décident de braquer une banque et de forcer la frontière, direction Tel-Aviv. A découvrir leurs sourires ravis une fois le barrage bravé, sûrs de leur liberté, on se dit que la violence la plus insidieuse faite à un peuple est sans doute de faire apparaître son pays comme une prison à ses propres yeux.
La suite du voyage se déroule plutôt classiquement, entre road-movie et visite guidée, comme si faire état d’un pays en guerre nécessitait un déplacement. Peut-être moins pour donner à “voir” – ici la Californie “telavivienne” succédant à la pauvreté des Territoires occupés – que pour neutraliser l’angoisse, rester maître de soi par la mise en mouvement du corps. Le Sel de la mer incorpore avec beaucoup de grâce et de justesse ce principe du personnage-guide, souvent filmé de dos, évoluant dans des décors qui ancrent sa trajectoire personnelle dans une histoire collective – dont il reste pas mal de pages à écrire, à filmer.
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