Alfred Hitchcock a souvent fait référence à la peinture, en particulier aux surréalistes qu’il admirait beaucoup, au point de collaborer en 1944 avec Salvador Dali pour La Maison du Dr Edwards. Il ne faut pourtant pas voir chez eux l’unique source d’inspiration picturale du réalisateur. Avec Fenêtre sur cour, Hitchcock s’inspire d’Hopper, puis, avec La […]
Alfred Hitchcock a souvent fait référence à la peinture, en particulier aux surréalistes qu’il admirait beaucoup, au point de collaborer en 1944 avec Salvador Dali pour La Maison du Dr Edwards. Il ne faut pourtant pas voir chez eux l’unique source d’inspiration picturale du réalisateur. Avec Fenêtre sur cour, Hitchcock s’inspire d’Hopper, puis, avec La Main au collet et Qui a tué Harry ?, aux impressionnistes et aux fauvistes. Dans L’Homme qui en savait trop, tourné en 1955, les références à la peinture sont très nombreuses, déterminées par la géographie de l’action et de l’intrigue. Le film a été tourné en partie au Maroc. On a d’ailleurs, à l’époque, beaucoup reproché à Hitchcock d’avoir cédé à la facilité du touristique en situant son action dans un pays du Maghreb, « coloré » en diable. Seulement Hitchcock n’a pas fait ce choix gratuitement, et le préambule de L’Homme qui en savait trop lui permet de rendre hommage à un autre peintre majeur, Eugène Delacroix.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Delacroix fut l’un des premiers grands artistes « réactifs », un des seuls à s’opposer à l’académisme de son époque en abandonnant le trait froid et appliqué pour privilégier les formes et les couleurs. Son voyage au Maroc fut l’occasion d’un choix déterminant qui le poussa à libérer sa peinture de manière encore plus radicale. Dans L’Homme qui en savait trop, Hitchcock veut opposer le conformisme d’une famille américaine type à la réalité et à la violence du monde qui l’entoure. Il met en garde le spectateur en dissimulant, derrière les couleurs chatoyantes du Maroc, un sentiment de danger et de peur.
Son approche n’est pas touristique, mais bien picturale et formelle : les cadres, les couleurs, notamment les oppositions entre rouges, bleus et orange évoquent la fureur des tableaux « marocains » de Delacroix. Ce qui rapproche Delacroix et Hitchcock dans ce cas précis, c’est la volonté de partir de cette matière pour inventer un monde de perceptions et de suggestions. A ce titre, la séquence du meurtre de Louis Bernard dans les rues du souk de Marrakech est exemplaire. Une silhouette vêtue de blanc court à toute allure dans des rues étroites, puis heurte un vendeur de teintures. L’homme taché de bleu se relève, poursuivi dans ce dédale. Ces plans brefs donnent l’impression d’un chaos.
Chaos et désordre qu’on retrouve dans certaines toiles de Delacroix. On reprochait à Delacroix son peu de souci pour le réalisme. Hitchcock a opté pour un style volontairement expressif, pour ne pas dire expressionniste, qui rompt avec la sagesse et la retenue habituelles du cinéma anglais.
Delacroix aimait se définir comme un « surnaturaliste ». Hitchcock appartient à cette même école. Sa filiation avec Delacroix éclate réellement dans les premières séquences de L’Homme qui en savait trop, qui deviennent un hommage vibrant au peintre qui, comme l’écrivait Baudelaire, un de ses rares défenseurs, « (…) était passionnément amoureux de la passion, et froidement déterminé à chercher les moyens d’exprimer la passion de la manière la plus visible. »
{"type":"Banniere-Basse"}