D’abord un rappel hellénique des faits : chassés par leur père pour avoir sauvagement rectifié leur demi-frère, Atrée et Thyeste se disputent le royaume de Mycènes. S’ensuit une cavalcade de franches saloperies où le fratricide le dispute à l’infanticide avec supplément totalement gratuit de festins nécrophages et de tortures succulentes. Oreste, petit-fils d’Atrée, mettra fin […]
D’abord un rappel hellénique des faits : chassés par leur père pour avoir sauvagement rectifié leur demi-frère, Atrée et Thyeste se disputent le royaume de Mycènes. S’ensuit une cavalcade de franches saloperies où le fratricide le dispute à l’infanticide avec supplément totalement gratuit de festins nécrophages et de tortures succulentes. Oreste, petit-fils d’Atrée, mettra fin à ces carnages en trucidant du même glaive Clytemnestre, sa mère, et Egisthe, son amant et complice, fils de Thyeste. Sophocle et Eschyle extirpèrent de cette généalogie sanglante quelques tragédies fameuses.
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En 1958 (après J.-C.), à quelques détails près, qui ne sont que l’effet conjugué d’un grandissement épique typiquement homérique et d’un rapetissement romanesque typiquement hollywoodien, le réalisateur américain Richard Fleischer ne raconte pas autre chose lorsqu’il s’attelle à la narration de ses Vikings. Signe qui ne trompe pas sur le ton légendaire, dès le prologue, c’est une voix fabuleuse, off et non créditée au générique, qui nous entretient de la saga des « gens de l’au-delà des brumes »: la voix d’Orson Welles.
Une histoire de famille donc qui grenouille au fin fond d’un fjord sordide. D’une part, dans la pose du fils normal et prometteur, une impressionnante boule de muscles, pur bloc de fantasme pour bas-relief totalitaire : c’est Kirk Douglas, sorte de bon aryen. D’autre part, dans la peau (grasse) du fils anormal et tordu, un esclave noiraud, bâtard né d’un viol perpétré, lors d’un raid en Grande-Bretagne, par Ragnar, le chef des Vikings, sur la personne de la reine des rosbifs : c’est Tony Curtis, espèce de vilain canard dans une couvée de cygnes ou bien mieux, un Juif de Brooklyn égaré dans une communauté de hippies nordiques et « nazifiants ». On comprend qu’il en ait lourd sur le drakkar et qu’il ne rêve, la nuit le long de la Baltique, que de fracasser tous ces gueulards alcoolisés. Mais comme il ignore, grand fou de haine, que Ragnar est son père et, partant, que le beau blond, Einar, est son demi-frère, il commettra du début à la fin l’irréparable : au début le monstre !, il livre son père aux Anglais et le pousse lui-même dans la fosse où l’attendent des molosses enragés. A la fin la méchante teigne ! , il embroche son frère sous les yeux de la jolie princesse blonde (Janet Leigh) que les deux vrais faux frères se disputaient après l’avoir l’un et l’autre copieusement sur-violée. Parricide et fratricide, Tony Pizzaiolo triomphe : bien qu’il ait payé ses vilenies à tiroirs d’une mutilation de la main gauche, il épousera la jolie Janet, en route pour une nouvelle dynastie.
Comme tout récit de fondation, Les Vikings valent leur pesant de sang, de sadisme et de larmes : outre l’éventration du père par des chiens et le tranchage de la main pour le fils, on aura aussi assisté à l’énucléation de l’oeil gauche de Douglas par un faucon avide. Mais ce qui est vraiment grec dans tout ce pataquès, et qui l’attache ainsi à nos Atrides, c’est que cette moussaka saignante se fait en famille, entre soi, entre nous.
Dès lors, il ne faut pas trop lire dans le dénouement des Vikings un triomphe de la civilité brune et sudiste sur la barbarie blonde et nordiste, ce qui en ferait un film sottement manichéen, voir raciste, mais plutôt un éloge intelligent du mélange et de l’ambiguïté. Pour l’exemple, on notera que les bons y sont vraiment consternants de connerie et les méchants, atterrants de bonhomie. Personne n’est politiquement correct. Et il est donc rassurant que ce soit un sang mêlé, un métis de première, notre Curtis chéri, lope et interlope, à qui soit confié rien moins que l’avenir d’une civilisation.
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