En 1947, Jacques Tati se lance dans la réalisation de Jour de fête, son premier long métrage, tourné en extérieur à Sainte-Sévère, dans l’Indre. Un petit village se prépare pour la fête annuelle. Des forains, Roger et Marcel, installent leur manège. François (Jacques Tati), le facteur rural, fait sa tournée sur une vieille bicyclette. Après […]
En 1947, Jacques Tati se lance dans la réalisation de Jour de fête, son premier long métrage, tourné en extérieur à Sainte-Sévère, dans l’Indre. Un petit village se prépare pour la fête annuelle. Des forains, Roger et Marcel, installent leur manège. François (Jacques Tati), le facteur rural, fait sa tournée sur une vieille bicyclette. Après avoir assisté à la projection d’un film documentaire sur le service postal aux Etats-Unis, où l’on utilise l’hélicoptère, il se laisse persuader par les deux forains de se mettre aux méthodes modernes. Il entreprend alors, toujours avec son vélo, une tournée « à l’américaine » en y adaptant des moyens « modernes ». On a souvent réduit Jour de fête à une chronique paysanne, un film sociologique sur les mentalités de la vie rurale dans la France d’après-guerre. Jour de fête semble souvent en retrait par rapport aux autres films de Tati, un intermède heureux et léger, presque étranger aux Vacances de monsieur Hulot, Mon oncle, Playtime, Trafic, tous dominés par le personnage d’Hulot et une description inquiète de l’arrivée du monde moderne. Cette thèse ne tient plus si l’on prend en compte la nature vampirique de Jour de fête et sa véritable inspiration : le Dracula de Tod Browning. Avant d’entamer le tournage de son film, Browning ne cessait de répéter la phrase célèbre de Lon Chaney, son comédien fétiche, décédé d’un cancer peu de temps avant, alors qu’il devait tenir le rôle de Dracula que reprendra finalement Bela Lugosi : « Le comble de l’épouvante, c’est d’entendre frapper à votre porte sur le coup de minuit et de trouver un clown immobile sur le seuil. » De même que le comédien est assimilé au clown, le clown chez Browning se voit assimilé au vampire du film d’épouvante traditionnel, d’où l’interprétation théâtrale, presque outrée, de Lugosi qui compose un authentique Dracula d’opérette. Dans Jour de fête, c’est la troupe de forains qui remplit la fonction de ce clown immobile que l’on retrouve sur le seuil de sa porte, et vient sucer le sang des habitants de Sainte-Sévère qui apparaissent de plus en plus désincarnés. Au début du film, le facteur entre par mégarde dans une maison où un mort vient de recevoir l’extrême-onction. Il découvre ensuite que les employés du bureau de poste se sont tranformés en ouvriers mécanisés tamponnant machinalement les enveloppes tels des zombies. Puis c’est tout le village de Sainte-Sévère qui se réveille le lendemain matin, après la fête, avec la gueule de bois, ses habitants se regardant avec circonspection, comme si leur nature profonde s’était modifiée. Le film s’achève le matin, sur un plan général de la ville déserte, les forains laissent un vide derrière eux, et une population cloîtrée derrière ses volets, fuyant la lumière du jour, tels des vampires. Jour de fête annonce les différentes mutations d’Hulot jusqu’à Playtime où sa mince protestation humaniste ne pèse rien face à l’organisation mécanique de la société moderne. Dans Playtime, Hulot n’est plus qu’un fantôme, un souvenir d’homme. Dans cette perpective, Jour de fête apparaît comme l’évocation d’un temps ancien, immémorial, la scène primitive où des hommes ont commencé à se vider de leur humanité.
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