Ronald n’est pas un enfant comme les autres. A 10 ans, il enregistre des shows télévisés avec Jerry Lewis ; à 16 ans, il est dompteur de lions, avant de devenir danseur avec Liza Minnelli ou dans West Side story. Rebaptisé Christopher, il attendra ses 28 ans pour sa première apparition au cinéma et ne […]
Ronald n’est pas un enfant comme les autres. A 10 ans, il enregistre des shows télévisés avec Jerry Lewis ; à 16 ans, il est dompteur de lions, avant de devenir danseur avec Liza Minnelli ou dans West Side story. Rebaptisé Christopher, il attendra ses 28 ans pour sa première apparition au cinéma et ne se fera remarquer que six ans plus tard dans Annie Hall de Woody Allen. Depuis, celui qui fit des essais pour le gentil rôle de Love story et qui se fait sauter la cervelle dans Voyage au bout de l’enfer est devenu le plus grand méchant du cinéma, de King of New York à Batman, le défi : le salopard qui crève systématiquement avant la fin du film, l’acteur auquel on n’a jamais offert un rôle de héros. Et ce n’est pas sa performance dans le polar shakespearien Nos funérailles, de son copain Abel Ferrara, qui changera son destin : Christopher Walken, 53 ans, personnalité énigmatique et avare de paroles, est maudit et il aime ça.
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Abel Ferrara et moi nous sommes rencontrés pour King of New York. Et la première impression que j’ai eue de ce type, qui n’arrêtait pas de hurler, sans raison particulière, est terrible. Pour vous adresser la parole, il crie. Une personnalité particulièrement exceptionnelle, très excentrique. Un cas unique. Mais j’ai immédiatement senti qu’on s’entendrait bien, professionnellement et aussi en privé. On est devenus très amis, on se retrouve souvent chez moi. Et pourtant, nous n’avons rien en commun. Je le trouve marrant, lui me trouve marrant. Ça suffit.
Qu’est-ce qui fait que vous vous entendez si bien ?
Nous formons une bonne équipe, maintenant que nous avons travaillé plusieurs fois ensemble, nous nous comprenons très rapidement : pas besoin de discuter ou d’analyser, pas de bavardage. Pourtant, ce gars-là n’arrête pas de me surprendre : il peut faire preuve d’une force et d’une volonté incroyables. Il n’y a aucune différence entre le vrai Ferrara et son image publique, il ne joue pas de personnage. Il est ainsi. Je n’ai jamais rencontré ses parents, mais ils doivent être sacrément costauds.
Son univers vous effraie-t-il parfois ?
Non. Il travaille en grande complicité avec son partenaire et scénariste Nick St John, dont les préoccupations, en tant qu’auteur, sont très sérieuses : l’Eglise, le bien, le mal, le péché, la mort, la rédemption. Des choses qui ne m’obsèdent pas. Je suis plus terre à terre, pas très analytique. Mais je trouve intéressant de réunir des gens très réfléchis et d’autres qui ne le sont pas. Ces questions me dépassent. En tout cas, on n’en discute jamais avec Abel. Ces sujets le passionnent peut-être en tant que réalisateur, mais pas en tant qu’ami : avec moi, il ne parle que de filles, de cuisine, de ses nombreux ennemis.
Vous ne partagez pas le regard pessimiste qu’il porte sur la vie ?
Je ne crois pas qu’il ait un regard pessimiste. Ses films peut-être… Moi, je joue très souvent des salauds, mais ça n’a rien à voir avec ma vie. Les films d’Abel sont très noirs, il affectionne ces sujets mais… je ne crois pas qu’il soit très sérieux. J’ai l’impression qu’on ne peut aborder ces questions que de biais. Abel n’est pas aussi réfléchi que les gens
le pensent, il est doué d’un sacré sens de l’humour. Nos funérailles me plaît car il ne donne pas une image romantique des gangsters : des meurtriers, pas séduisants, pas intelligents, pas très intéressants. Des brutes demeurées. Lorsque mon personnage dit que le monde est tel que Dieu l’a voulu et qu’il ne peut que faire avec, on comprend à quel point c’est un type stupide et dangereux, qui a recours à la théologie pour justifier sa vie : « Je suis un sale type parce qu’on ne m’a pas accordé la grâce d’être bon. » Un raisonnement tordu qui vise à se dégager de toute responsabilité.
Pour mener une telle carrière d’acteur, avez-vous été touché par la grâce ?
Absolument. Vous riez, mais je suis sérieux. Je l’ai toujours su. C’est un don, mais qu’il faut travailler, chérir, ne pas considérer comme un dû. Il est très dangereux de ne pas respecter cette grâce : elle sait disparaître, juste pour vous rappeler qu’il faut lui prêter attention. Il m’arrive de la perdre. C’est très effrayant… on prend peur, alors on prie.
Quand avez-vous pris conscience de votre don ?
Depuis que je suis enfant, je l’ai toujours su. Je ne crois pas que j’aurais pu être autre chose qu’acteur, je suis incapable de quoi que ce soit d’autre.
Pourquoi les cinéastes vous choisissent-ils toujours pour illustrer la lutte entre le bien et le mal ?
Peut-être que chez moi le conflit est évident. Et puis si vous jouez ce genre de rôle de manière convaincante, il y a des chances pour qu’on vous le redemande. Il se trouve qu’on a commencé par me demander de jouer le salaud et non le héros, l’amant ou le rigolo… Ça tient sans doute à ce que voit la caméra elle voit à l’intérieur, très clairement, son regard est froid et sans parti pris. Moi, j’ai grandi dans le monde du spectacle, mes frères et moi étions des enfants du spectacle : j’ai été dans le showbiz toute ma vie, et je crois que c’est ce qui me rend un peu étrange. Je ne jouais pas au base-ball, je n’allais pratiquement pas à l’école, je ne partageais rien avec les autres enfants : je jouais la comédie dans des spectacles. Ça m’a rendu… différent. L’étrangeté devient vite effrayante pour les autres et provoque le rejet. Je suis une espèce d’alien. Mon enfance est moins « normale » que la plupart. Mon passé est très particulier. Il est difficile d’imaginer ce que fut ma vie d’enfant-acteur c’était une autre planète. Ma mère voulait qu’on soit dans le showbiz, elle était régisseur. Dans les années 50, à New York, la télévision était en plein essor, il y avait quatre-vingt-dix shows en direct chaque semaine, ils avaient besoin de beaucoup d’enfants-acteurs. J’ai commencé vers 5-6 ans. Je n’ai jamais rien envisagé d’autre, je n’avais aucune autre aptitude, je n’étais pas brillant en classe. Mon père tenait une boulangerie, il travaillait dur. Nous habitions dans le quartier du Queens. Ma mère devait s’occuper de ses garçons, trois terreurs qu’elle emmenait tous les jours en ville pour monter sur scène. Et je lui en suis très reconnaissant c’est autrement plus intéressant que de jouer au base-ball. Si j’avais des enfants, je ne les enverrais peut-être pas du tout à l’école : l’école américaine est dangereuse, elle enseigne une pensée médiocre. Elle n’apprend pas aux enfants à être courageux, à oser penser différemment, à se comporter différemment, à prendre des risques. L’Amérique souffre d’obésité physique et mentale. C’est un pays gras, pourri-gâté, qui n’apprend pas à ses enfants à lutter. En un sens, je crois avoir de la chance de ne pas avoir beaucoup d’éducation. J’ai heureusement appris à lire la meilleure chose qui me soit jamais arrivée.
Vos frères ont-ils aussi continué dans le monde du spectacle ?
Non, ils sont devenus ouvriers car ils ont eu des enfants très jeunes et devaient assurer financièrement. Moi, je n’ai jamais eu d’enfants, j’ai donc continué. Contrairement à mes frères, je pouvais me permettre une vie de bohème. C’était un choix. Jusqu’à 35 ans, je n’ai jamais gagné plus de mille dollars par mois. Je suis marié depuis près de trente ans, mais sans enfants.
Quelqu’un comme Sean Penn trouve le métier d’acteur dangereux pour sa santé mentale. Est-ce le cas pour vous ?
Non, je ne comprends pas ce qu’il veut dire. C’est un acteur fantastique, moi je n’ai jamais été aussi bon que ça. Je suis devenu bon à force de faire et de refaire, mais je n’avais pas particulièrement de talent d’acteur j’ai appris à le devenir.
Vous disiez avoir un don.
J’avais un don, mais pas pour jouer la comédie. Je possédais une force, une force d’esprit. Les gens le savent, le voient. Ça ne signifie pas que je sois particulièrement intelligent, ça signifie que… quand j’entre dans une pièce, vous le remarquez (sourire)… Appelez ça comme vous voulez.
Comment considérez-vous votre carrière jusqu’à présent ?
Je n’ai aucun regret, aucune frustration, car je me suis débrouillé bien mieux que tout ce que je pouvais espérer. Je n’ai jamais pensé avoir autant de succès. C’est pour moi une surprise permanente.
Vous savez pourtant que vous êtes doté d’une force particulière.
Vous pouvez être un fermier isolé dans le Midwest et l’avoir personne ne sait qui vous êtes, vous vous réveillez le matin pour travailler et vous avez cette force. Si vous en avez conscience, ça suffit, le monde n’a pas besoin de le savoir. Beaucoup de gens ont cette force. Mais si vous êtes un acteur, vous pouvez la vendre. Ça me ferait plaisir d’avoir encore plus de succès, mais ça ne dépend pas de ma volonté. Dans ma vie, beaucoup de choses me sont arrivées par hasard, j’ai eu énormément de chance. Je suis un veinard. Je n’ai pas de plan de carrière, pas d’objectifs et si je fais des choix, ils ne sont pas réfléchis. Mes motivations sont inconscientes, je décide à l’instinct.
On ne sait presque rien de votre activité d’auteur : vous avez notamment écrit une pièce de théâtre.
Sur Elvis, dont j’ai aussi joué le rôle. Il est devenu célèbre lorsque j’avais 15 ans et occupait donc une place importante dans mon univers d’adolescent. J’ai également écrit un script sur John Holmes, star du porno, mort du sida. C’était à la fin de King of New York, il était même question qu’Abel le tourne. Mais ça n’a jamais débouché sur quoi que ce soit. J’ai envisagé de le faire moi-même, mais c’est impossible à monter financièrement. John Holmes, tout comme Elvis, était très célèbre… Il y a un danger à être trop doué.
Mais John Holmes, ce n’était pas seulement la célébrité : c’était le sexe, le meurtre, la drogue.
Une histoire très sombre, oui… mais l’envers du décor, c’est que tous ceux qui le connaissaient disaient que c’était un type extrêmement gentil peut-être pas très intelligent mais adorable. Il est venu à Hollywood et est devenu le Marlon Brando, l’Elvis, le roi dans sa spécialité. Jusqu’à ce que quelqu’un le lui dise, il ne se rendait même pas compte qu’il était célèbre, pensant être comme tout le monde. Devenir très célèbre très jeune est particulièrement dangereux. Moi, non seulement ça ne m’est pas arrivé lorsque j’étais jeune mais, en plus, je n’ai jamais été aussi célèbre que ça. Si ça avait été le cas, j’espère que j’aurais eu la discipline nécessaire pour y faire face. Le danger, c’est d’être doué et de ne pas avoir de discipline. C’est la discipline qui vous sauve, elle seule peut vous empêcher d’en mourir. Je crois l’avoir, je suis protégé. Jusqu’à présent.
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