Adapté de Raymond Chandler, un film noir languide dans un Los Angeles insomniaque peuplé de freaks. Une splendeur.
Difficile d’oublier la magnifique séquence qui ouvre The Long Goodbye de Robert Altman, adapté du roman éponyme de Raymond Chandler : le détective Philip Marlowe qui dormait tranquillement est réveillé par son chat affamé. Il se lève péniblement, cherche en vain de la nourriture pour le félin et se retrouve obligé d’aller au supermarché en pleine nuit.
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La séquence dure dix minutes et, à elle seule, fait entrer le film noir dans les languissantes années 1970. Une fois réveillé, Marlowe n’aura plus jamais l’occasion de se rendormir, traversant le film dans un état cotonneux sans rien comprendre à ce qui lui arrive.
Les prémices des fresques cacophoniques de Robert Altman
Dans The Long Goodbye, on décèle les prémices des fresques cacophoniques de Robert Altman (Short Cuts, Nashville…), remplies à ras-bord d’innombrables névrosés qui tirent à eux le récit, s’arrogent chacun leur tour le titre de héros principal.
Chez le cinéaste, la fiction est comme un énorme paquebot sur lequel on entasse un maximum de personnages, et il n’y en a jamais assez. Sauf que cette fois-ci, cet attroupement bigarré est observé depuis le regard indolent d’un Philip Marlowe auquel Elliott Gould prête ses traits ; il passe après Bogart et Le Grand Sommeil et, on l’avoue, nous le ferait presque oublier.
“It’s OK with me”
Marlowe-Gould c’est le détective comme on l’imagine, comme on voudrait qu’il soit : sans attaches (à part son chat) ni passé, il a depuis longtemps renoncer à dormir et drape sa dépression derrière un dandysme indolent. On le repère à quelques signes distinctifs et une poignée d’habitudes : son costume, les Marlboro qu’il grille l’une après l’autre, les allumettes qu’il frotte contre les murs, et une réplique fameuse, marque de sa nonchalance : “It’s OK with me.” Marlowe rend des services à tout le monde mais lui ne réclame jamais rien. Il ne paie pas de mine, mais pige tout avant les autres.
L’intrigue est tout aussi floue que dans Le Grand Sommeil, façon de dire qu’elle est absolument secondaire par rapport aux personnages, à la parade de freaks qui traverse The Long Goodbye : le gardien d’un parking adepte d’imitations de célébrités, Roger Wade, écrivain alcoolique qui n’arrive plus à écrire, Terry Lennox, vieil ami de Marlowe qui a battu à mort sa femme et se fait passer pour mort, Marty Augustine, mafieux ridicule et totalement imprévisible entouré de sa bande de bras cassés, les voisines hippies de Marlowe qui dansent nues sur leur balcon…
Un Los Angeles dépressif et insomniaque
Ballet de fous au milieu duquel Marlowe apparaît comme le seul être humain à peu près normal, jetant un regard impassible et fatigué sur cette faune hystérique. Car il en a vu d’autres, et c’est le propre du détective de fricoter pour les besoins de son travail avec ce qu’une ville, ici un Los Angeles dépressif et insomniaque, produit de plus cinglé et pourri.
Il encaisse, mais plus pour très longtemps : après avoir distribué des blagues et des sourires de façade, Marlowe, et le film avec lui, fait exploser sa bile dans un geste vengeur accompagné d’une inoubliable réplique finale : “J’ai même perdu mon chat.”
Le Privé – The Long Goodbye de Robert Altman (E.-U., 1973, 1 h 52, reprise)
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