Ovni de la Nouvelle Vague, Luc Moullet revient avec un polar burlesque désespéré et politique, sur fond de crise du cinéma.
Parti en repérages dans la région du sud des Alpes dont il est originaire et où il a tourné une bonne partie de ses films, le cinéaste (et non “unéaste”, comme le prétendra un gendarme analphabète), Luc Moullet va tenter de se faire passer pour mort en empruntant l’identité d’un cadavre qu’il a découvert par hasard, celui d’un énarque qui de son vivant répondait encore parfois au doux nom de Duport-Anxionnaz. Le plan de Moullet est machiavélique : l’annonce de sa mort réveillera l’intérêt du public pour son œuvre (un bon artiste est un artiste mort) et, quand il réapparaîtra, la publicité donnée à cet événement extraordinaire lui ouvrira les portes de chaînes de télé et des financeurs. Il en est certain. Désormais déguisé et affublé (si j’ose dire) d’une calvitie totale et d’une petite barbiche blanche qui le font vaguement ressembler, de loin, d’hélicoptère, à un cousin franchouillard un peu débile du Jean de Dieu de João Cesar Monteiro, Luc Moullet va tenter de passer le temps en attendant que quelqu’un découvre “son” cadavre. Malheureusement pour lui et à notre plus grande joie, les choses ne vont pas du tout se dérouler comme il le souhaitait. Une série de rencontres malencontreuses vont contrarier ses projets, la police s’en mêler, sa femme très mal supporter une situation fort embarrassante. Comédie délirante comme seul Moullet en a toujours eu le secret, Le Prestige de la mort ne dépaysera pas ceux qui connaissent son univers particulier, ses paysages de prédilection, son humour moderne et triste, sa voix chevrotante et son cheveu sur la langue. Seulement, la particularité de Luc Moullet, c’est qu’il est très fort pour cacher ce qu’il y a de sérieux dans ses films. Il a par exemple écrit pour le dossier de presse de son film la plus parfaite présentation qu’on puisse en faire : “Inspiré du Mort en fuite (André Berthomieu – 1936) et de The Whispering Chorus (Cecil Blount DeMille – 1918), ce film se situe à michemin entre la fable et la farce. On découvrira ici, pêle-mêle, une description globale et décalée du paysage audiovisuel français, un regard ironique sur nos polices, l’itinéraire, tragi-comique, d’un héros traqué par le Destin qu’il s’est lui-même forgé, la logique des rêves fous, à travers des paysages somptueux et divers : c’est le seul film de l’histoire du cinéma où l’on trouvera à la fois des calanques, des roubines, des lapiaz, des sengles et des sphaignes.” Après cela, on aurait envie d’arrêter d’écrire… Mais, dans le but de satisfaire notre employeur qui ne saurait, selon ses dernières déclarations, se satisfaire d’une copie du dossier de presse, et donc, en un mot, de redonner ses lettres de noblesse à la “valeur travail”, nous allons tenter de mettre en lumière ce à quoi Moullet fait allusion dans sa présentation. Ce que ne dit pas le cinéaste français le plus bizarre qui soit, c’est que Le Prestige de la mort est un film gonflé, provocateur, macabre comme on n’en fait jamais, où son auteur s’amuse par exemple, sans vergogne et dans l’ordre à :
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1. faire clamser Jean-Luc Godard (pour de faux) ;
2. faire procéder à l’enterrement de Luc Moullet sous son propre regard ;
3. se faire assassiner par sa propre épouse. Ce qui, on en conviendra, et malgré le ton ostensiblement comique du récit, ne relève pas de l’anodin.
Certes, le film ne possède sans doute pas la poésie d’Une aventure de Billy le Kid (1971), ou la crudité d’Anatomie d’un rapport (1975, peut-être son chef-d’œuvre), mais l’époque n’est pas non plus la même : il n’est plus temps de parler des problèmes de couple, de s’amuser à réinventer les héros de l’Ouest dans les Causses. Mais de montrer ce que signifie vieillir, hic et nunc, pour un artiste singulier, dans un pays, une société comme la nôtre qui n’attendent plus rien de vous que d’accepter d’entrer dans les musées, dans les DVDthèques, dans l’histoire du cinéma, dans la culture. Le Prestige de la mort – titre évidemment ironique – est un acte de résistance artistique : contre le silence, contre la paresse et la radinerie des Sofica (sociétés intermédiaires qui collectent des fonds pour les investir dans le financement d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles), contre la retraite des vieux.
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