Avec When we were kings, Leon Gast a su recréer le suspens d’un fantastique combat de boxe tout en saisissant le charisme phénoménal d’un champion de légende.
Leon Gast était présent au Zaïre en 1974 pour suivre et filmer Muhammad Ali, le combat de boxe et le concert qui se déroulait pendant les trois jours précédant le duel. Pendant plus de vingt ans, il n’a pu sortir ces images pour divers problèmes de droits et de sous. Tant mieux : le combat est devenu mythique, le personnage Ali a pris des dimensions extraterrestres et le rapport à l’Afrique est devenu prépondérant dans la conscience noire américaine le temps a fait son uvre et apporte une plus-value historique et une distance critique incontestables à ce film. D’autant plus que Gast a ajouté aux archives des entretiens récents avec des témoins de l’époque (Norman Mailer, les reporters George Plimpton et Thomas Hauser…) ou d’aujourd’hui (Spike Lee) qui contribuent à tout remettre en perspective. Gast avait quand même loupé une chose à l’époque : la rencontre avec l’Afrique. Ce qu’il a filmé du Zaïre se résume à quelques clichés éternels des enfants en haillons mais tellement souriants ou effets symboliques grossiers un plan de Mobutu juxtaposé à un plan d’assiette grouillante d’asticots… L’entourage américain du combat prend toute la place et l’Afrique est vite réduite à une toile de fond muette pas un Africain n’est questionné sur ce qu’il pense du match, d’Ali et de Foreman, voire de Mobutu. Gast a dû s’en rendre compte puisque dans les entretiens ajoutés en 96, il consacre du temps à l’acteur africain Malik Bowens et aux éclairages de Norman Mailer sur le régime de terreur de Mobutu.
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Mais si Gast n’est pas un cinéaste de la trempe d’un Depardon quant à son approche de l’Afrique son regard de 74 est au mieux touristique, au pire colonial , il n’en a pas moins fait un remarquable travail de montage pour recréer le suspens du combat et la tension progressive des journées le précédant, montage qui inclut une excellente utilisation de la musique, qu’elle soit africaine ou afro-américaine. Ainsi When we were kings part sur un tempo qui ne faiblit jamais et délivre au cours de son trajet en accélération quelques images mémorables : la réponse laconique de Foreman quand un journaliste lui demande ce qu’il ferait s’il perdait (« Pardon ? Pouvez répéter votre question ? ») ; Norman Mailer gesticulant et s’excitant tout seul en expliquant la tactique et les techniques d’Ali, notamment le fameux rope-a-dope (repos et attente contre les cordes) ; les visages extraordinaires des deux combattants au moment des présentations sur le ring de quoi changer n’importe qui en statue de sel ; les attitudes provocantes d’Ali en plein combat, les bras baissés, en train de narguer Foreman, etc. Mais le meilleur du film, c’est Ali lui-même, y compris hors du ring. Tout en grâce, en énergie inépuisable, en insolence magnifique, Ali crève l’écran, absorbe toute la lumière des caméras : dans les quelques scènes où il côtoie James Brown, le Godfather of soul devient même un nain, un homme invisible. Ali électrifie l’atmosphère dès qu’il ouvre le bec. Bien plus qu’un boxeur, c’est un poète, un bateleur, un prêcheur, un danseur, un soulman, le rapper originel. Avec un tel sujet filmique, on se dit que When we were kings aurait aussi bien pu être tourné par un aveugle.
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