“Jim Carrey : L’Amérique démasquée” éclaire ce que l’ascension fulgurante du comédien, au mitan des années des 1990, révèle de l’Amérique et de ses tragédies en gestation.
Il y eut, en 1994, à Hollywood, une éruption volcanique. Enfin quelque chose comme ça. La même année sortent sur les écrans américains Ace Ventura, The Mask et Dumb and Dumber, trois immenses cartons au box-office propulsant un comique raté de 32 ans, inconnu du grand public, au rang de superstar. Cet homme, c’est Jim Carrey. En un an, il amasse 700 000 dollars et devient soudainement le visage triomphant (et grimaçant) du renouveau de la comédie américaine.
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Des vestiges encore fumants du cinéma hollywoodien testostéroné des années Reagan, et ses action heroes gonflés aux protéines et au patriotisme, a surgi cette année-là une comédie populaire américaine déviante, désaxée, scatophile, perverse, irrévérencieuse, goulûment priapique et génialement débile, dont Jim Carrey deviendrait l’emblème autant que l’un des inventeurs.
Monstre de celluloïd
Dans un essai passionnant, le premier né de Façonnage Editions, Adrien Dénouette (critique cinéma pour Carbone, Trois Couleurs et Critikat) ausculte et décortique le monstre de celluloïd, à la “prodigieuse élasticité faciale” et au visage “comme un chaos d’affects incontrôlables” qu’est Jim Carrey.
Sur plus de 200 pages richement illustrées (enrichies d’une préface signée Eric Judor), le livre gravit les deux versants d’une histoire commune : celle du cinéma américain des quarante dernières années et de ses fulgurantes mutations (et comment Jim Carrey deviendrait le trait d’union entre Charlie Chaplin, Roger Rabbit et Avatar), et celle de l’Amérique contemporaine et de ses démons voraces (des clinquantes années Clinton à la dépression post-11 Septembre).
L’ascension spectaculaire de Jim Carrey en 1994 en rappelle une autre, survenue soixante-dix ans plus tôt, lorsque, en 1914, dans le studio hollywoodien de Keystone, un certain Charlie Chaplin passe de comédien de music-hall inconnu du grand public à personnalité la plus célèbre d’Occident. En plus de ce jeu de correspondances, et d’une réflexion sur le génie comique dans l’histoire du cinéma américain, se dessine une thèse puissante dont L’Amérique démasquée se fait le révélateur : l’acteur burlesque, derrière les grimaces et les savoureuses facéties, serait une incarnation de la tragédie de son époque.
Si l’on comprend de quelle(s) tragédie(s) Charlot fut, en 1914, le miroir déformant, L’Amérique démasquée tente de répondre à la question suivante : pourquoi Jim Carrey surgit-il en 1994 ? Sur quel terrain propice, et dans les coulisses de quelle(s) tragédie(s) ? En disséquant sa filmographie, de The Mask à Kidding en passant par The Truman Show et Bruce tout-puissant, Adrien Dénouette fait tomber les masques, et livre des réponses éclairantes.
Jim Carrey : L’Amérique démasquée d’Adrien Dénouette (Façonnages Editions), 218 p., 20 €
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