Soigne ta gauche. Pour raconter des histoires traversées, de loin, par la politique, six réalisateurs français, Erick Zonca, Dominique Cabrera, Claire Devers, Sébastien Lifshitz, Tonie Marshall et Pierre Salvadori, explorent les registres de la comédie, du drame, du docu-fiction, du polar. Comment traiter aujourd’hui du politique, à la télévision, dans une fiction, sans tomber dans […]
Soigne ta gauche. Pour raconter des histoires traversées, de loin, par la politique, six réalisateurs français, Erick Zonca, Dominique Cabrera, Claire Devers, Sébastien Lifshitz, Tonie Marshall et Pierre Salvadori, explorent les registres de la comédie, du drame, du docu-fiction, du polar.
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Comment traiter aujourd’hui du politique, à la télévision, dans une fiction, sans tomber dans le film à thèse illustratif ? Comment s’approprier les problématiques sociales et économiques actuelles dans une oeuvre télévisuelle ? En pratiquant le pas de côté. Pierre Chevalier, responsable de l’unité de programmes fiction de La Sept-Arte, a proposé à six réalisateurs et réalisatrices de plancher sur la série, un peu vite intitulée Gauche/Droite, par le biais du téléfilm de genre : polar, fait divers, docu-fiction, comédie, fait de société, comédie dramatique. Avec pour seul passage obligé une scène « évoquant des notions de gauche et de droite ». L’abord formel a ainsi permis aux cinéastes de se décentrer du sujet théorique et arborescent. Aucun de ces six films de 60 mn environ ne se confronte donc directement aux discours de gauche ou de droite. Et si tous sont traversés par la politique de façons diverses, les situations et les personnages choisis se situent tous du côté des exclus, donc a priori plutôt de gauche. Soigne ta gauche aurait peut-être été un titre plus approprié que Gauche/Droite, notion à la fois trop vague et restrictive, qui ne recouvre pas la teneur finale de la série. Mais peu importe les têtes de chapitre.
Avec Le Petit Voleur, Erick Zonca livre un film cinglant, vif et glacial comme un coup de lame, qui évite toute psychologie et se tient loin des mots. En une heure, Zonca va droit au but, filmant caméra à l’épaule la chute d’un môme fasciné par l’imagerie gangster. Apprenti en boulangerie, S. démissionne sur un coup de sang et émigre d’Orléans à Marseille. D’un troquet à l’autre, la même révolte et la même question : où est le pognon ? Ici, l’argent est visible, pas des jeux d’écritures chiffrant des millions ou milliards transitant sur des comptes, les billets bien réels passent et repassent de main en main. Il est redistribué, tout comme les objets de consommation dont regorgent les villas luxueuses des environs, vidées par la bande de petits caïds que S. rejoint à Marseille. Tout est affaire de déplacement, de répartition, de réappropriation. En insultant son patron, S. crache sur une vie d’esclave toute tracée ; en intégrant cette bande, S. se cherche un nom, se voit en héros scorsésien, rêve de la panoplie complète avec gueule abîmée, regard de dur, boxe, flingues, filles, trahison, costards de mac et liasses fraîches. Il pense ne plus avoir de comptes à rendre et avoir gagné sa liberté en marge de cette société qui n’a rien à lui proposer.
Dans sa géographie intime, il se cherche un territoire nouveau où s’inscrire, où se renommer, à côté des Chacal, oeil, Venin et autres truands. Les lieux où il évolue sont clos et anonymes, les rues sont des impasses, le soleil, la chaleur et les cigales sont restés dans l’autre vie. Autour de S. règnent l’ombre et le silence. Seul son regard enregistre, sans cesse, et a du mal à se tenir baissé. Zonca traque ce regard et y plonge le spectateur. A l’intérieur des plans montés de façon électrique, qui claquent comme des coups de fouet au visage, à l’intérieur même de la tension nerveuse et de la violence qui habitent chaque instant, le réalisateur creuse des corridors intérieurs où il observe avidement son personnage et prend le temps de saisir chaque sentiment par son regard. Il y insère une sensualité des corps, fait surgir une intimité dans le cours d’un plan, et inscrit une lenteur. Car l’action se fait plutôt rare pour S., elle se déroule hors champ, reste hors de sa portée. Et les cicatrices qu’il affiche sur son visage ne sont le fait que de son propre poing. L’adolescent passe ses journées à attendre, fait le ménage chez une vieille grand-mère dont il ne sait pas grand-chose il ne sait que faire des photos en noir et blanc qui la montrent en combattante durant la guerre d’Espagne , fait le planton pour la pute du grand caïd, ou encore le chauffeur. Dans l’organisation comme ailleurs, il reste tout en bas de l’échelle sociale, la hiérarchie y est implacable et les humiliations dévastatrices. Comme à la fin de La Vie rêvée des anges, les personnages n’ont pas le choix, ils crèvent ou se soumettent à la loi du marché. Le Petit Voleur, qui sort en salles le 4 mars, a la sécheresse vibrante. Aucune pose ne vient adoucir le propos, Zonca réussit un second coup d’éclat, porté par Nicolas Duvauchelle à la présence indéniable.
Avec Les Terres froides, Sébastien Lifshitz confirme son talent et ses obsessions, puisqu’on retrouve comme dans Les Corps ouverts un mélange de réalisme et de romanesque au service d’une recherche identitaire, ainsi que l’acteur Yasmine Belmadi. Viré de son boulot, Djamel quitte Paris pour Grenoble où il est embauché comme manutentionnaire et s’installe dans un foyer. Il se met alors à suivre et à épier le patron de l’entreprise jusqu’à chez lui. Le film tourne tout entier autour del’idée de « pénétration ». Le personnage tente de parvenir à son existence, d’abolir ce sentiment d’exclusion, en avançant par strates successives, une nouvelle région, un travail, pour s’introduire dans le lieu ultime de son inscription : la maison habitée par cet homme, qu’il est persuadé être son père. L’atmosphère nocturne de la plupart des plans, la présence de la musique détournent la réalité brute vers une étrangeté lancinante.
En héritant de la comédie, Tonie Marshall s’en sort plutôt très bien avec Tontaine et Tonton, expérience qui aurait facilement pu tourner à la catastrophe. Le film est une variation sur les transferts obsessionnels de trois personnages. Deux amis quadra, en perte de travail et de désirs, rencontrent Justine, une allumeuse qui « a fait son oedipe avec François Mitterrand », et dont le cerveau, le corps et l’appartement sont entièrement dédiés au Président. Folle à lier, elle va pratiquer à outrance, durant toute une nuit de cohabitation, le coitus interruptus, transformant les deux compères en vrais nigauds, les épuisant jusqu’à l’écoeurement de citations idolâtres. On sent la jouissance d’Emmanuelle Devos, qui excelle en aguicheuse excentrique, à interpréter ce rôle, ce qui crée un pas de côté supplémentaire, et qui, paradoxalement, renforce le plaisir du spectateur.
Pierre Salvadori signe avec Le Détour un polar sur l’économie de la drogue dans un quartier de Paris. Le film s’articule autour d’une mécanique qui se resserre jusqu’à l’étranglement. Il met en scène un chaînon ancré sur une petite place entre deux cafés dans le XVIIIe, allant du petit dealer occasionnel au chef du réseau, tous liés les uns aux autres par des dettes. Le film fonctionne assez bien, mais n’a pas la force du Zonca ou l’étrangeté du Lifshitz. On aurait aimé un peu plus d’audace dans la forme.
Retiens la nuit déçoit. Parce que Dominique Cabrera est une cinéaste talentueuse, qui avait su adopter la bonne distance dans De l’autre côté de la mer, et avait si bien réussi à fondre la fiction et l’intimité dans Demain et encore demain. Ici, elle donne le sentiment de ne pas parvenir à s’approprier son sujet. Le film, qui s’ancre au milieu des cheminots durant la grève de décembre 95, transpire le factice et semble se désagréger, s’égarer à mesure que l’on s’enfonce dans la froidure de la nuit.
Claire Devers est, elle, tombée dans le piège « film Dossiers de l’écran », avec La Voleuse de Saint-Lubin, inspiré du fait divers de cette mère qui avait dérobé de la viande pour nourrir ses enfants. Ne parvenant pas à tirer le fait réel vers la fiction, les scènes de tribunal versent dans le théâtral, et le film dans l’illustratif.
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