Dans Les Deux Amis , son premier long métrage de cinéaste – dans lequel il joue également –, Louis Garrel dirige son pote Vincent Macaigne. Entretien avec deux grands gamins espiègles et talentueux.
L’un est brun, fin, élancé ; l’autre est châtain, rond, costaud. L’un parle à grande vitesse, dix idées à la seconde, passant du coq à l’âne, vif comme l’éclair, tandis que l’autre cherche ses mots, hésite, ne termine pas toujours ses phrases. Le lièvre et la tortue ? Laurel et Hardy ? DiCaprio et Jonah Hill ? Non, Louis Garrel et son acteur et ami Vincent Macaigne. Pour la sortie du tragi-comique Les Deux Amis, ils parlent de l’amitié, du rapport acteur/metteur en scène, de comédie, du poids des pères. Un échange gracieux et funambule.
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A quand remonte votre rencontre ?
Vincent Macaigne – (A Louis) Toi, tu passais le conservatoire du Xe arrondissement. Tu avais les cheveux rasés. Vas-y, tu racontes mieux…
Louis Garrel – Vincent était au Conservatoire national, il était plus âgé, c’était un exemple. Je travaillais sur Le Mariage de Figaro. Il est venu chez moi pour répéter, je me souviens qu’il me donnait la réplique en hurlant : “Ô femme, femme, créature faible et décevante !”
Un coup de foudre amical ?
Louis Garrel – Pas vraiment parce qu’on s’est perdus de vue puis retrouvés des années plus tard, sur le tournage d’Un été brûlant (de Philippe Garrel – ndlr).
Le travail commun renforce-t-il l’amitié ou la met-il en danger ?
Vincent Macaigne – Louis est assez doux comme metteur en scène. C’est difficile de se disputer. J’ai été habitué à des gens plus durs.
Louis Garrel – Si l’amitié précède le travail, il y a un risque. Avec Vincent, c’est différent puisqu’on est devenus amis par le travail.
On sent que votre complicité à l’écran repose beaucoup sur le fait que vous vous amusez…
Louis Garrel – Je crois au contraste entre mon côté austère et la dimension clownesque de Vincent. Avec Christophe (Honoré, coscénariste – ndlr), on s’est dit qu’on allait raconter une amitié amoureuse. On a rarement vu deux hommes hétérosexuels au cinéma se dire “je ne t’aime plus”. Dans la vie, il y a les copains, les potes et les amis. Les amis, c’est une présence charnelle. Vincent Macaigne – Les ruptures amicales sont aussi importantes que les ruptures amoureuses.
Les Deux Amis pourrait marquer la naissance d’une nouvelle typologie masculine au cinéma. Vos personnages sont très fleur bleue, kidnappeurs, harceleurs, voire dangereux…
Vincent Macaigne – Si t’es une nana et que tu tombes sur eux deux, t’es mal (rires)… Ils conjuguent leurs défauts pour foutre en l’air la vie d’une personne.
Louis Garrel – Ils sont sentimentaux. Je voulais filmer l’intimité de deux garçons. Comme si on regardait par le trou de la serrure. Mais je ne voulais pas faire un film de potes.
Vincent Macaigne – L’amitié entre hommes au cinéma peut paraître forcée. Vous avez vu Le Cœur des hommes ? Ils surjouent l’amitié virile.
Comment passez-vous, l’un et l’autre, de la mise en scène au jeu d’acteur ?
Vincent Macaigne – Au théâtre, on dirige les acteurs longtemps. On peut tomber à force dans une sorte de folie, parce que tout le monde nous “obéit”. Jouer, se mettre au service de l’autre, me remet à une bonne place. Le travail avec Louis comporte une sorte de continuité avec la vie. Son film ressemble à la captation d’une intimité, de nos moments à nous.
Louis Garrel – Le jeu d’acteur, pour Vincent, c’est ici et maintenant. Il brûle tout à chaque prise. A l’inverse, je cherche à me perfectionner de scène à en scène. J’ai un côté bon soldat, scolaire.
Les Deux Amis est une comédie ?
Louis Garrel – En partie, oui. Le rire n’empêche pas la cruauté. Il peut y avoir une joie à voir des gens qui se déchirent, se trahissent.
Vincent Macaigne – Les débuts du théâtre sont très cruels. Au Moyen Age, on faisait des farces autour de mecs écartelés… Personnellement, je suis très attaché à la comédie. J’aime bien faire des blagues dans la vie.
Louis Garrel – Il y a aussi un “post-rirum”… Quand on rit malgré soi à quelque chose de bête qui nous renvoie à notre banalité. J’adore l’humour de Nanni Moretti, qui n’est jamais abaissant.
Ton film joue beaucoup sur ces ambiguïtés entre le rire et le drame. Comme pour la scène où Vincent est plongé dans un bain de glaçons…
Louis Garrel – J’avais conscience de mettre en place des scènes potentiellement risibles. Mais on prend toujours les personnages au sérieux. Pareil pour la scène du train : très comique dans le scénario, elle est inquiétante au jeu. C’est ainsi que se crée la tension dramatique du film. J’avais besoin de faire un travail de DJ, de faire dysfonctionner ce qui est attendu.
Vincent, dans tes rôles, tu passes souvent du comique à quelque chose de plus inquiétant…
Vincent Macaigne – Peut-être parce que le rire et la cruauté sont proches. Tout à l’heure, je regardais une photo de Robert Pattinson où il avait l’air ultra dur. Mais peut-être que dans la vie de tous les jours il est très rigolo… Louis Garrel – Tu t’identifies à Pattinson maintenant ?!
Vincent Macaigne – Je ne peux pas, j’ai pas assez de cheveux pour ça ! Moi, j’aime bien rigoler. Je ne peux pas être ami avec quelqu’un avec qui je ne rigole pas.
Louis Garrel – Là où je préfère Vincent, c’est quand il est tragi-comique. Tu as un truc de clown pur, tu es un descendant de Pierre Etaix. Le truc du mec pas adapté qui se heurte à la société… Pourquoi aime-t-on Laurel et Hardy ? Parce qu’ils n’ont pas de vie conjugale, ils n’ont pas fondé de foyer, ils sont restés adolescents, immatures.
Faire des films, n’est-ce pas aussi un moyen de rester dans l’enfance, de ne pas jouer à l’adulte ?
Louis Garrel – Je suis tellement anxieux que je ne peux pas être adulte. J’ai des accès d’angoisse où je me demande “qu’est-ce qu’on fout là ?”. Cioran écrit des trucs dingues là-dessus. Par exemple, tu regardes un très beau paysage puis tu es tout d’un coup saisi par la nullité totale d’être là à regarder (rires)… Cioran pratique un humour glacial mais libérateur.
Vincent Macaigne – L’angoisse, ça peut être positif. Les gens pas du tout angoissés sont souvent assez ennuyeux.
Vous aimez les comédies comme celles de Judd Apatow, qui parlent aussi de la difficulté de devenir adulte ?
Louis Garrel – J’ai particulièrement aimé En cloque, mode d’emploi.
Vincent Macaigne – Et moi Les Rois du patin (de Josh Gordon et Will Speck – ndlr). Will Ferrell est un génie, non ?
Vincent, vous formez une bande avec cette génération de cinéastes que vous accompagnez : Justine Triet, Antonin Peretjatko, Guillaume Brac ?
Louis Garrel – C’est pas des bandes, c’est des cercles. Bande, ça fait un peu…
Vincent Macaigne – Si j’ai un problème, j’appellerais plutôt Louis que Justine, et je dis ça sans méchanceté.
Louis Garrel – Pour déménager, t’appellerais qui ? Le vrai ami, c’est celui qui aide à déménager.
Vincent Macaigne – L’amitié, c’est que je sais que je peux appeler Louis à toute heure sans être jugé. J’ai d’autres amis, mais que je n’appellerais pas n’importe quand : j’aurais peur de les faire chier.
Louis Garrel – Truffaut disait : “A partir de 19 heures, je ne vois plus que des femmes.” C’est vrai qu’il y a certains hommes que tu ne peux plus voir après 19 heures, et d’autres, si. Toi, tu ne me racontes jamais d’anecdotes sexuelles. Ce que je n’aime pas dans l’amitié, ce sont les épanchements, quand un type raconte à son pote ses derniers exploits sexuels. C’est le seul truc qui peut me gêner chez Apatow. Même chez Desplechin, quand un personnage dit “l’extraordinaire sensation quand tu mets ta main dans la culotte d’une fille”… Oui, OK, ben garde-le pour toi.
Le sexe au cinéma te met mal à l’aise ?
Louis Garrel – J’aime bien Truffaut dans Domicile conjugal, quand il ferme la porte. La première séquence de Love (de Gaspar Noé – ndlr) est assez belle. Ensuite, la sexualité du film te ramène au plateau. Tu te demandes comment ont fait les acteurs, combien de prises, etc. J’avais l’impression de regarder un making-of. En fait, moins il en montre, plus c’est érotique.
C’est agréable les scènes d’amour ?
Louis Garrel – Dans le film de Bertolucci, Innocents, c’était comme un jeu. Je sentais qu’il me mettait au défi de le faire. Mais j’aime plus trop ça.
Vincent Macaigne – Ce n’est jamais agréable. Ça m’a toujours semblé un peu étrange.
Louis Garrel – J’aimerais bien connaître la date de la première fois où un acteur a sorti sa langue pour un baiser de cinéma !
Louis, en passant à la réalisation, as-tu ressenti le surmoi paternel ?
Louis Garrel – Oui, mais ça ne m’a pas empêché. Mon film a tellement peu de rapport avec sa manière de voir ou de faire… Je suis plus anxieux de montrer mon film à Luc Bondy qu’à mon père. J’ai peur qu’il s’ennuie. Luc m’a toujours dit de ne pas être psychologique, de ne pas craindre l’artificialité.
Quand on est un jeune artiste, comment se débrouille-t-on avec les figures d’autorité, les modèles ?
Louis Garrel – Quand tu fais confiance à ton plaisir, ça règle tout, tu mets de côté la question de ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire. Vincent est plus libéré que moi par rapport aux pères, il a un rapport transgressif à tout. Moi, j’étais cancre, j’avais envie de plaire à mes profs.
Vincent Macaigne – J’ai fait le conservatoire mais, très vite, j’ai commencé à mettre en scène, ce qui a induit un rapport compliqué avec ma génération, qui a été empêchée par la génération d’au-dessus. Ça a été une bataille pour conquérir la place. En tant qu’acteur, on le sent moins. Mais faut être franc, au théâtre, il y a eu chasse gardée de la génération au-dessus.
Louis Garrel – Quand je regarde ma génération en musique, c’est fou. La French Touch, Justice, Daft Punk, etc., ils ont innové à fond, alors qu’en cinéma notre génération est toujours dans l’orbite des anciens. Je ne sens pas ces blocages chez les jeunes de 20 ans, ils sont plus libres que nous. Vincent Macaigne – Oui, mais on leur fait plus de cadeaux, du moins au théâtre. Dans ma génération, il y avait des gens géniaux qui ont arrêté parce qu’ils n’en pouvaient plus. On a crevé des gens avant qu’ils aient 35 ans.
Au théâtre ou au cinéma, que peut-on dire qui n’ait pas déjà été dit avant ?
Louis Garrel – Dire n’est pas la question. On dit toujours la même chose : qu’est-ce que vivre, aimer, ne pas aimer… Ce qui compte, c’est la manière de dire, c’est là qu’on peut inventer.
Vincent Macaigne – C’est tellement rare, les gens qui ont envie de dire un truc qu’ils ressentent profondément en eux. Déjà, donner ça, c’est énorme. Louis Garrel – A Cannes, on disait de mon film qu’il était très Nouvelle Vague. Pendant la préparation du film, j’ai vu un Raoul Walsh avec George Raft et Edward G. Robinson, un grand et un petit qui tombent amoureux de Marlene Dietrich (L’Entraîneuse fatale, 1941 – ndlr) : c’était la même chose que Les Deux Amis ! J’étais plus proche d’Hollywood que de la Nouvelle Vague mais les gens s’imaginaient que j’allais filmer des personnages qui lisent du Kierkegaard à la terrasse du Flore ! On pourrait faire à ce film le procès de ne pas regarder le monde et de rester sur le “je t’aime, je t’aime pas”. Mais pour qu’on s’attache aux histoires sentimentales de mes personnages, je me suis dit qu’il fallait qu’ils n’aient que ça à quoi se raccrocher.
Vous pensez qu’on ne peut plus filmer des histoires d’amour en raison de notre contexte de crise ?
Louis Garrel – Je repense à Nikita de Luc Besson, c’est pour moi un film Nouvelle Vague, c’est-à-dire un type qui filme la femme qu’il aime, c’est “a girl and a gun”, comme dit Samuel Fuller dans Pierrot le Fou. On pourrait citer Téchiné, Carax… Dans les années 80, le cinéma produisait des fresques lyriques, sentimentales, baroques, alors que maintenant le thème amoureux s’inscrit dans des formes plus étriquées, plus pauvres, alternatives. On ne peut plus dire l’amour en mode XXL.
Vincent Macaigne – Ce qui est pénible, c’est que ce sont les gens qui apportent de l’innovation qui doivent se battre le plus. Les producteurs, financiers, décideurs ont trouvé un système de travail qui fait que leur vie est réglée et, quand un créateur déboule, il constitue une menace de dérèglement de la vie de chacun. C’est pour ça que les créateurs innovants ont plus de mal.
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