“Il vaut mieux partir du cliché que d’y arriver.” Le mot est d’Alfred Hitchcock, mais Jean-Claude Guiguet pourrait dire la même chose à propos du ridicule. Raconter son troisième long métrage, surtout pour en conseiller l’achat en vidéo, est en effet assez risqué vu le décalage du film avec les thèmes, le ton et l’esthétique […]
« Il vaut mieux partir du cliché que d’y arriver. » Le mot est d’Alfred Hitchcock, mais Jean-Claude Guiguet pourrait dire la même chose à propos du ridicule. Raconter son troisième long métrage, surtout pour en conseiller l’achat en vidéo, est en effet assez risqué vu le décalage du film avec les thèmes, le ton et l’esthétique dominants du moment. Mais les risques, c’est d’abord lui qui les a pris en filmant avec un subtil mélange de lyrisme et de distanciation une dernière passion amoureuse. Dès les premières scènes, la caméra embrasse avec élégance les cimes savoyardes enneigées, un verger en fleurs sur les rives du lac Léman, deux promeneuses qui donnent le sentiment de flotter sur les accords du dernier lied de Strauss. On est saisis par la science de la composition du cadre, par l’équilibre fragile et mystérieux entre cette beauté paradisiaque et les maux qu’elle va bientôt révéler. On pense au titre américain d’un film de Kazan, Splendor in the grass, radieux comme un soleil de printemps, puis à son titre français, La Fièvre dans le sang, tumultueux comme un orage d’été. A l’heure de la ménopause, Maria Tümmler (Louise Marleau, intense) se découvre amoureuse de Ken, le précepteur de son fils. Ken, c’est le prénom du fiancé de la poupée Barbie, et effectivement Ken est ici un jouet sur lequel se cristallisent les affects. Si Maria a pour lui les yeux de l’amour, sa fille Anna (Fabienne Babe for ever) ou son amie Jeanne (Véronique Silver, lumineuse) le voient pour ce qu’il est : un jeune Américain banal. Le mouvement subtil du film est de nous faire adopter tour à tour le point de vue de tous ces personnages. On l’a dit, Guiguet a pris tous les risques : il finit donc par se ranger du côté de Maria. Dans un plan-séquence de cinq minutes, elle s’avoue son amour. Un monologue qui synthétise toute l’audace du film et toute la délicatesse mobilisée pour sa réussite. C’est bouleversant et c’est la raison pour laquelle il faut voir Le Mirage, même en vidéo. Une telle scène, c’est une leçon de cinéma, mais aussi une leçon de vie. Le sang qui coule ici n’est pas celui de la vie, mais celui de la mort. Et pourtant, Maria est transfigurée. Qui d’autre a su rendre avec autant de sensibilité ce sentiment de transcendance donné par ceux qui approchent l’inéluctable ? Guiguet est peut-être parti du ridicule, mais il est arrivé très haut.
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