Superproduction française de l’année, Le Hussard sur le toit souffre de sa trop bonne santé. Avec Le Hussard sur le toit, on se retrouve devant l’un de ces cas récurrents qui traversent une ou deux fois par an le ciel du cinéma français: le film vital pour l’industrie nationale, celui sur qui reposent tous les […]
Superproduction française de l’année, Le Hussard sur le toit souffre de sa trop bonne santé.
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Avec Le Hussard sur le toit, on se retrouve devant l’un de ces cas récurrents qui traversent une ou deux fois par an le ciel du cinéma français: le film vital pour l’industrie nationale, celui sur qui reposent tous les espoirs de se tailler une portion tricolore pas trop congrue dans le camembert du ciné-chiffres annuel, l’œuvre qui a mobilisé tout un paquet de talents, d’espoirs, d’énergies et (surtout) de capitaux afin que le petit coq gaulois puisse se rengorger fièrement face à l’aigle américain tout-puissant. Bref, le Germinal de 1995 qui mobilisera jusqu’au ministre de la Culture, qui sera décrété aussi indispensable à la survie nationale que les essais de Mururoa et qu’il sera mal vu d’égratigner sous peine de passer pour un traître à la nation. A l’heure où l’on écrit ces lignes, le marathon promo télé ne nous est pas encore tombé dessus, mais on peut déjà voir la belle tête de Binoche orner quelques couvertures de magazines, la plupart faisant partie du groupe Hachette qui a financé le film. C’est bien fichu leur truc. C’est dire que, avant même d’être vu. Le Hussard est d’ores et déjà un événement annoncé – et programmé scientifiquement par un surpuissant appareil de marketing. Mais, après tout, dans le contexte de concentration industrielle que vit le secteur des images et de la communication, rien que de très normal dans tout cela.
Plus scandaleux dans cette histoire de pépètes : Le Hussard a bénéficié de l’avance sur recette, privant au passage un ou plusieurs ‘petits films » de source de financement. Il nous semble que l’argent de l’Etat doit aller prioritairement à la recherche artistique (même si celle-ci est commercialement déficitaire, et d’ailleurs surtout pour ça) plutôt que d’aider Hachette à monter ses opérations de prestige. Grâce à l’avance, Lagardère et Cleitman ont pu… quoi, au fait ? Donner une rallonge à Binoche ? Acheter un sabre de rechange à Olivier Martinez ? Se payer Depardieu pour deux minutes de présence ?
Et le film dans tout ça ? On connaissait Rappeneau, son savoir-faire de bon artisan, une valeur sûre, comme on dit. Ni coup de génie ni catastrophe indigne à attendre de sa part. Le Hussard confirme cette ligne centriste en se situant dans le ventre mou d’un cinéma proprement « fini », mais dépourvu de la moindre crête. Juste l’eau tiédasse d’un irréprochable académisme où la reconstitution historique est minutieusement chiadée, des acteurs renommés qui défilent chacun leur tour pour faire leur petit numéro, une Binoche vaguement absente (et très mal coiffée), qui n’a plus grand-chose en commun avec la jeune fille fiévreuse filmée par Carax, et un Olivier Martinez aussi mignon et présent à l’écran qu’un hôte du Club Med (section activités équestres)… Comment dire ? Ce cinéma de chevaux, de sabres, de redingotes et de beaux paysages touristiques laisse assez indifférent et, en même temps, on ne peut pas reprocher grand-chose à Rappeneau : il a fait son boulot, dans le cadre qui lui était imparti. Simplement, il faut dire une bonne fois pour toutes que ce genre de projet – transposer le patrimoine littéraire français au cinéma – est politiquement réactionnaire (refuge dans les certitudes du passé), artistiquement absurde (le cinéma ferait mieux de créer ses propres chefs-d’œuvre, plutôt que de recopier ceux de la littérature) et forcément voué à l’académisme. Il y avait au moins une belle piste à exploiter dans Le Hussard : l’épidémie de choléra. Elle pouvait donner lieu à une métaphore hallucinée sur la maladie et la confusion contemporaine ? histoire d’arracher le film à sa gangue historique, un peu comme La Reine Margot échappait à l’imagerie d’Epinal. Rappeneau y a sans doute pensé, mais – quoique ses films coûtent cher – il n’est pas Chéreau. La fièvre qui extermine ses personnages n’est contagieuse que dans la fiction – elle ne se transmet ni à la mise en scène ni au spectateur. Là réside peut-être l’échec artistique du Hussard, dans ce décalage fatal entre une histoire malade et une production qui pète la santé.
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