« Le Hobbit » de Peter Jackson revient à l’art de la métonymie, propre au cinéma classique. Analyse.
Il y a dans Le Hobbit deux scènes troublantes, où interviennent des monstres. Le film nous invite à les envisager, mais de façon surprenante refuse de nous les montrer. C’est d’abord un dragon qui fend le ciel pour anéantir le royaume d’un peuple nain. De son corps, nous ne verrons que d’infimes fragments (un bout de queue, un aileron, dans l’ultime plan une paupière levée). Sinon, Smaug, le dragon bien nommé, disparaît derrière sa fumée (et ses flammes). Même chose pour les araignées géantes qui assaillent la maison d’un magicien. De l’intérieur de la bicoque, nous ne percevons que les craquements du toit qui ploie sous leur poids, leur ombre portée au pied des murs, mais un seul plan furtif nous les fait apercevoir de loin tandis qu’elles prennent la fuite. C’est curieux – et assez beau – de voir ainsi revenir l’art de la métonymie, propre au cinéma classique, dans celui, au bord de la pure animation numérique, de Peter Jackson.
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La métonymie, dont Jacques Tourneur restera comme le chantre (montrer des indices de La Féline plutôt que l’animal lui-même), consistait souvent à faire d’une faiblesse une force. Pallier le manque de moyens, donner à imaginer ce que les prises de vues réelles auraient eu bien de la peine à montrer. Le tout-numérique, lui, peut tout. Le représentable n’a plus de limites, tout est figurable, les monstres, les tours de magie, l’envol d’un personnage, les métamorphoses. Tout ce que le vieux cinéma d’illusionnisme ne rendait possible que par la petite tricherie du montage, de l’ellipse, du hors-champ, peut désormais être réalisé à vue, dans un seul plan, modelé comme de la glaise par les fées de l’image numérique. Mais certaines figures ont la vie dure.
Peter Jackson ressuscite des motifs de découpage dont la logique va à l’inverse de celle du blockbuster numérique : étaler sa toute-puissance figurative. Se contraindre à ne pas montrer alors que c’est si facile, c’est réveiller les vieux fantômes du hors-champ et de l’invisible, les spectres d’un cinéma qui, tel le dragon Smaug, veillent depuis toujours sur les trésors de la peur au cinéma. Leur invocation produit toujours de belles trouées poétiques.
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