Une bande d’hommes middle age se convertit à la natation synchronisée. Une comédie entre deux eaux.
Le précédent opus de Gille Lellouche, Les Infidèles, était une série de sketches sur une masculinité graveleuse et triomphale, portée par le duo très bankable qu’il formait alors avec Jean Dujardin. Ce dernier était alors vu sur une affiche polémique au milieu de deux jambes à talons ostensiblement écartées, surmonté de la réplique “je rentre en réunion”. L’affiche fut à l’époque retirée, et c’est peut-être même au film qu’on chercherait des noises s’il sortait aujourd’hui. Mais Lellouche, qui semble avoir senti le vent tourner, a renversé la vapeur : Le Grand Bain, sa troisième réalisation, est l’anti-Infidèles par excellence.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En effet à travers le portrait d’une clique de dépressifs sévères, rassemblés par le projet absurde de monter une équipe de natation synchronisée (une des dernières disciplines sportives exclusivement féminines), c’est bel et bien le film d’une masculinité vaincue qu’entreprend cette comédie mélancolique. Cela ne lui réussit pas tant du côté du rire stricto sensu : là-dessus le film n’a pas de génie, enfile les perles burlesques que lui suggère sans trop d’efforts son idée de départ, à grand renfort de slips de bain à l’élastique vacillant, de dad jokes à l’eau chlorée et de ralentis ingrats sur les figures maladroites qu’exécutent du mieux qu’ils peuvent nos pépés-nageurs.
Profonde empathie
Mais tout cela reste infiniment plus sympathique qu’un mauvais spectacle de gros baiseur déguisé en couve de GQ, et surtout on reste sans cesse pris d’une profonde empathie pour ces personnages, très touchants dans ce qu’ils partagent de détresse, de risque du ridicule, d’amitié demi-avouée, et de vraie folie.
Car Lellouche y va très franc du collier en termes de dérèglement psychologique. Pas de petites manies gaguesques ou de dépression lissée : ses personnages ont tous en eux un élément d’extrême souffrance, de dangerosité exacerbée, d’authentique renoncement qui leur coûte tout, et même par instants la sympathie du spectateur (en sachant bien sûr la récupérer plus tard). Amalric frappé d’une tétanie évoquant limite ses rôles de grand malade desplechinien, Canet pris d’accès de violence menaçant sa propre famille, Efira (car il n’y en a pas que pour les hommes) dans un gouffre de mythomanie, le tout abondamment recouvert d’addictions médicamenteuses : le feel good movie esquisse une vraie ligne de noirceur, accolée à un pouvoir de guérison d’autant plus robuste.
Le Grand Bain de Gilles Lellouche (Fr., 2018, 1h58)
{"type":"Banniere-Basse"}