Le maître japonais du film d’animation est de retour dans ce long-métrage fantasque, au moteur narratif surpuissant.
Dix ans sont passés depuis la retraite annoncée d’Hayao Miyazaki à la suite de Le Vent se lève — retraite qu’il s’était empressé d’interrompre dès 2016 en remettant sur l’établi son dernier ouvrage, ce mystérieux Garçon et le Héron dont rien, strictement rien, n’a filtré avant sa sortie cet été au Japon. S’il est toujours périlleux de qualifier un film tardif de “testamentaire”, particulièrement avec cet hyperactif octogénaire, ce film-ci se présente à l’évidence comme une somme de tous les motifs miyazakiens, un monument aussi fantasque que le précédent était sobre.
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Harmonie contre chaos, retenue contre débordement, calme contre agitation : toute l’oeuvre du maître de l’animation est régie par ces oppositions de phases qui s’y déploient à chaque strate, du tout à la partie, de l’architecture générale (entre les films baroques et ceux plus classiques) à l’équilibre propre à chaque long-métrage (entre des parties plus réalistes, d’autres plus magiques), de la psychologie des personnages principaux à leur apparence physique (souvent malléables). Non seulement Le Garçon et le Héron ne fait pas exception mais il semble tout entier conçu comme une mise en pratique de ce principe oscillatoire.
Les morts vivent parmi nous
Et ce dès son titre : d’un côté un garçon de onze ans épris d’ordre et de calme, envoyé à la campagne après avoir connu l’enfer des bombardements qui ont pris la vie de sa mère aux derniers jours de la Seconde Guerre mondiale ; de l’autre un héron merveilleusement retors qui vient titiller sa curiosité et l’appeler vers l’aventure. Et comme d’accoutumée chez le cinéaste japonais, c’est un bâtiment, en l’occurrence un vieux donjon poussiéreux, qui symbolise cet appel vers un outremonde carollien. Outremonde où Mahito, tel Alice aux pays des merveilles, glisse d’espace onirique en corridors fantastiques, avec un emballement pour le moins déconcertant — qui fait parfois penser au volet psychédélique du Congrès d’Ari Folman. L’on peut ainsi être pris de vertige à voir le film déployer ses ailes de plus en plus grand, loin et vite, muant constamment et introduisant de nouveaux personnages comme on tourne une page — surtout dans sa deuxième heure qui, il faut bien l’admettre, n’a ni queue ni tête. Ce qui serait sans doute fatal à n’importe quelle oeuvre est ici catalysé dans un moteur narratif surpuissant, conçu par un maître au sommet de son art.
Nul besoin en effet d’avoir un doctorat en métaphore pour comprendre que Miyazaki se projette complètement dans la figure du démiurge pris dans une fuite en avant, construisant des échaudages narratifs en perpétuel déséquilibre comme on érigerait une tour Jenga — c’est-à-dire en prenant les blocs d’en bas pour les mettre tout en haut. Les morts vivent parmi nous, raconte-t-il, tant que les vivants sont là pour raconter (et écouter) leur histoire — ce qui, au passage, était aussi la morale du pixardien Coco. Le jour où Miyazaki ne sera plus là pour faire tenir ensemble les blocs, et que la tour (Ghibli ?) s’effondrera, resteront néanmoins, pour l’éternité, ses histoires à dormir debout.
Le Garçon et le Héron, d’Hayao Miyazaki (Jap., 2023, 2 h 05). En salle le 1er novembre.
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