Un inédit du génie nippon. Une histoire de famille, bien sûr. Et un modèle d’élévation spirituelle à partir d’une trame banalement réaliste.
Ce qui est super avec le cinéma, c’est qu’on peut voir la même semaine deux films que tout oppose, et les aimer ensemble.
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D’un côté, Deux filles au tapis, une bombe surexcitée de Robert Aldrich (lire ci-contre). De l’autre, un film d’Ozu, qu’on n’imagine pas compatible avec la rudesse survoltée de son collègue américain. Et pourtant, oui : en allant voir les deux, vous apprendrez comment le cinéma sait faire exploser le cœur des spectateurs. De joie ou de tristesse, grande différence certes, mais avec un effet de libération similaire.
Le Fils unique est inédit en France. Réalisé en 1936, en noir et blanc, c’est le premier film parlant d’Ozu. Comme d’habitude, c’est l’histoire de gens d’une même famille qui se comportent comme d’inconsolables orphelins. Un petit garçon est élevé par sa mère, qui y tient comme à la prunelle de ses yeux. Pauvre, elle se sacrifie pour lui payer des études.
Quinze ans plus tard, elle va le retrouver, alors qu’il est parti dans la grande ville pour se marier et faire carrière, bref réussir sa vie. En dépit des signes de réussite exhibés par son fils, elle comprend peu à peu qu’il a raté sa vie et qu’il donne le change, misérablement.Elle lui pardonne. Au nom de quoi ?
C’est ce mystérieux “au nom de” qui donne toute sa profondeur au film. On pourrait croire que le film raconte un amour maternel si fort qu’il est prêt à supporter les ratages de son fils. C’est le cas, mais pas seulement.
Le pardon répond à un autre impératif.
Les personnages ozuyens marchent la tête droite ; pourtant, faites l’expérience, on se souvient d’eux comme ayant la tête ployée, accablés sous le coup d’un savoir qui décourage tout espoir en une vie meilleure. Si la mère pardonne, c’est parce qu’elle sait qu’on ne peut pas échapper au malheur.
Pourtant nul naturalisme social là-dedans (examiner la vie au ras des pâquerettes n’est pas du goût d’Ozu), nul pessimisme à la Simenon (dont on pourrait le rapprocher par ce goût commun pour les “petites gens”, les décors désolés, les marches solitaires, sauf que la clarté de l’art ozuyen est très loin des climats sordides du romancier), mais une manière extraordinaire d’élever très haut ces humbles trajectoires.
Détail important : dans le film, la mère est tisseuse de soie. D’une manière peu ragoûtante (les vers à soie gluants), elle tire une matière brillante et noble. Ce métier n’est pas qu’un hasard du scénario. Par sa manière plastique d’élever ses personnages (graphisme absolu), Ozu tire lui aussi de la matière informe des malheurs humains une fresque haute et claire, de la tourbe une ligne mélodique si haute qu’elle brise les cœurs.
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