« Marguerite » de Xavier Giannoli (en compétition officielle) et « In Jackson heights » (hors compétition) de Frederick Wiseman étaient projetés lors de la première journée de la Mostra de Venise.
C’est le jour et la nuit, certes. D’un côté un documentariste octogénaire célèbre pour l’absence de commentaires dans ses films (Wiseman), de l’autre un quadragénaire qui semble avoir plein de choses à dire et les dit toutes en vrac, au spectateur de se débrouiller (ou pas) – Giannoli.
« Marguerite » s’inspire d’une personne réelle, une femme de milliardaire américain très connue des amateurs d’opéra mais dont il est inutile de citer le nom ici car Giannoli a tout transformé (et transposé l’action en France).
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« Marguerite est une belle croûte »
Cette femme avait une particularité : elle chantait très faux mais sa fortune lui a permis d’enregistrer quelques microsillons qui font le bonheur des mélomanes. Dans le film, Catherine Frot tient le rôle principal. Au début, on est assez charmé par la fluidité de la mise en scène, la beauté de la reconstitution, pas du tout académique (l’action se déroule dans les années 20). En fait, on ne sait pas trop où va aller le film et c’est assez agréable. Qui est cette bonne femme ? Une impostrice, une mythomane parfaitement consciente de son incompétence pour le chant lyrique, qui se joue du snobisme de ses contemporains ? Ou une simple bourgeoise hystérique délaissée par son mari volage et qui se perd dans sa folie pour se faire remarquer de lui ? Pointe aussi au bout d’une demi-heure de film une question bien intéressante : en quoi est-ce gênant de chanter faux ? L’art au 20e siècle n’est-il pas l’histoire de la libération des normes et des canons de beauté classiques ? Hélas, Giannoli choisit le mauvais cheval, le film vire mal, se répète, se fait rire lui-même, et se termine en eau de boudin, assez vulgairement, dans un festival de numéros de cabotins plus indisciplinés les uns que les autres.
Pire, la morale finale, bêtement machiste, met mal à l’aise : un homme, ça doit savoir tenir sa femme. Le pire, c’est qu’on ne soupçonne même pas que Giannoli le pense réellement. C’est juste que le récit est parti dans tous les sens (sans doute avec l’illusion de vouloir s’enrichir thématiquement) et retombe assez mal sur les pieds de son scénario, dans des soubresauts vaudevillesques certes inattendus dans son cinéma mais qui ne dépassent pas le ricanement ou le pathos facile. Bref, Marguerite est une belle croûte.
« Jackson heights », un film énorme
Wiseman, 85 ans, c’est la liberté. Comme on le sait depuis toujours attaché à décrire les grandes institutions du monde entier (hôpitaux, théâtres, universités, etc.), le grand Frederick est cette fois-ci allé poser sa caméra dans un quartier du Queens, « Jackson heights », à New York. On comprend très rapidement de quoi il retourne. Ce quartier populaire est depuis longtemps un lieu où les communautés les plus rejetées (qu’elles soient ethniques ou sexuelles) se sont retrouvées, unies, et même apparemment aimées. Et cela continue aujourd’hui. Seulement, comme dans toutes les grands villes du monde, ce quartier est en train de se « gentrifier ». Les prix montent, les gens partent, les communautés et les amitiés se défont. Constat qui pourrait être triste. Mais ce que montre Wiseman, au-delà de la fin d’une époque, du début d’une autre, c’est que c’est qu’une démocratie. Quand même.
Ce sont, à « Jackson heights », des réunions de quartiers. Des fêtes. Des lieux où les gens viennent parler les uns après les autres, s’écouter, sans se juger. Ils sont porto-ricains, ils sont homosexuels, ils sont noirs ou blancs, jeunes ou vieux, de toutes les langues et religions, ou tout cela à la fois, ils représentent la police ou les transsexuels, mais ils se parlent et tentent d’arranger les choses, de s’entendre (même si la plupart ne parlent que leur langue d’origine), de faire en sorte que les choses tiennent les unes avec les autres. Nulle illusion non plus : le quartier continuera à se dissoudre, la paix sociale, la fin de l’ultralibéralisme n’est pas pour aujourd’hui et le film est loin de faire dans le patriotisme larmoyant. Mais pour ces moments qui témoignent d’une réalité, des valeurs politiques d’hommes et de femmes comme vous et moi, qui tentent simplement de vivre le mieux possible ensemble en respectant ce qu’est l’autre, on remercie une nouvelle fois Frederick Wiseman : il a toujours foi en l’homme et nous la communique. C’est énorme.
Jean-Baptiste Morain, envoyé spécial à la Mostra de Venise
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