Le nouveau film de Kitano, Zatoichi, s’inscrit dans la vogue actuelle du film de cape et d’épée asiatique. Panorama d’un genre qui fascinait une poignée de cinéphiles occidentaux dans les années 70, avant de toucher le grand public international en 2000 avec Tigre et Dragon.
Trois films participent cette saison à la reconnaissance définitive ou plutôt à la mode du cinéma de genre asiatique en Occident : Hero, Zatoichi et Kill Bill Vol. 1, auxquels on peut ajouter les trois Matrix, dont les combats spectaculaires sont réglés par Yuen Wo-ping, cinéaste et maître chorégraphe des films d’art martiaux de Hong-Kong, également conseiller sur le Tarantino.
Tel Clint Eastwood dans les années 80, Takeshi Kitano semble appliquer le principe d’alternance entre films récréatifs et risqués, films de genre et projets atypiques. Venant après Dolls, Zatoichi apparaît sans doute comme le film le plus commercial de Kitano depuis son premier, Violent Cop. Il s’agit d’un film de samouraï, remake maniériste d’une série de films très populaires au Japon (pour la plupart mis en scène par le grand Kenji Misumi) contant les aventures d’un masseur aveugle, Zatoichi, vagabond dont l’apparente bonhomie stupide dissimule une habileté quasi surnaturelle dans le maniement du sabre et une grandeur d’âme à toute épreuve.
La série des « Zatoichi » (interprété par Shintaro Katsu) compte 24 films réalisés entre 1962 et 1972, plus un feuilleton télé dans les années 70 et un come-back sur les grands écrans en 1989. Cette série multiplie les épisodes violents de combats homériques, dans la pure tradition du chambara (terme désignant les films de sabre japonais) mais aussi les intermèdes comiques engendrés par la cécité du héros et son incroyable adresse.
Contrairement à Tarantino, Kitano n’est pas cinéphile et ne voue pas un culte particulier à Zatoichi. Il ne verse pas non plus dans la parodie d’un genre ultracodé ni dans la réévaluation du patrimoine cinématographique nippon. Son incursion dans le chambara donne naissance à un film tout aussi personnel et original que les précédents. Son Zatoichi est à la fois respectueux du cahier des charges de la série (combats hallucinants, humour, mélodrame) et un grand film de cinéaste, où Kitano se livre à de nouvelles variations sur les thèmes qui l’obsèdent (le spectacle, l’enfance, le déguisement) en poussant son art du montage et de la mise en scène à un niveau d’invention et de raffinement jamais atteint.
Apparue dans les années 80, avec la nouvelle vague asiatique menée par Tsui Hark, la curiosité des cinéphiles occidentaux pour le film de sabre chinois dut attendre l’an 2000 et le succès international de Tigre et Dragon (produit par les Américains, mais mis en scène et joué en cantonais par des Chinois) pour toucher le grand public. Les spectateurs non initiés furent surpris et immédiatement séduits par la grâce de duels à l’épée où les combattants virtuoses se propulsent dans les airs en défiant les lois de l’apesanteur, reliés à des câbles plus ou moins bien dissimulés. Ces scènes furent popularisées très tôt à Hong-Kong dans les films d’aventures à costumes appelés wu xia pian, souvent adaptés de classiques de la littérature chinoise.
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Dans les années 60, des metteurs en scène travaillant pour les studios Shaw Brothers (King Hu, Chu Yuan, Chang Cheh, Liu Chia-liang, pour ne citer que les meilleurs) vont fixer les règles esthétiques du genre, en donnant à ces combats une valeur et une importance variables suivant leur personnalité. King Hu, cinéaste raffiné et cultivé, auteur du célèbre A Touch of Zen (1972), qui mêle spiritualité et complots politiques, et du très beau Raining in the Moutain (1979), a directement influencé Ang Lee pour Tigre et Dragon.
C’est dans cette tradition que s’inscrit Hero de Zhang Yimou, sorti il y a quelques semaines : une fresque sur l’unification chinoise ponctuée de combats virevoltants effectués par des stars du cinéma de Hong-Kong (Maggie Cheung, Jet Li, Tony Leung). Ces quelques jolies acrobaties bénéficiant des trucages numériques ne parviennent pas à insuffler un peu de légèreté et de vitesse à Hero, écrasé par la recherche permanente de la belle image, à grand renfort de filtres de couleurs, avec des acteurs réduits à l’état de mannequins de cire. Hero constitue un parfait exemple de film sous contrôle (la minimajor Miramax d’un côté, le gouvernement chinois de l’autre), totalitaire et pas seulement parce que Zhang Yimou affiche des intentions de propagande nationaliste.
Tarantino, quant à lui, ferait plutôt de la propagande cinéphilique, ce qui est plus sympathique. Son activisme a commencé devant des clients hagards au fond d’un vidéoclub californien, elle trouve son point culminant dans Kill Bill Vol. 1 (sortie le 22 novembre), que le cinéaste désigne lui-même comme son premier film-hommage. Cinéaste n’est peut-être pas le mot juste ici pour Tarantino, qui se livre à un travail d’artiste pop ou de DJ, en inventant une ciné-compil entièrement composée de références et de citations, agencées selon les principes d’admiration (« J’adore ce film »), de collection (« Je possède le DVD de ce film ») et de mémoire (« Je connais ce film par c’ur »). Uma Thurman porte une combinaison de moto jaune comme Bruce Lee dans le posthume Jeu de la mort. La partie japonaise et son Tokyo stylisé à outrance cite les films de yakuzas de Seijun Suzuki, tandis que le combat final sous la neige est une allusion à la série Lady Snowblood, histoires de samouraïs féminins. Cependant, ce film de vengeance ultime trouve dans l’ uvre de Chang Cheh sa principale source d’inspiration.
Chang Cheh fut un des plus prolifiques et flamboyants cinéastes des studios de la Shaw Brothers. Son goût pour la violence et les récits de vengeance ont entaché son travail d’une réputation de mercenaire, tout en encourageant un véritable culte autour de son uvre. Chang Cheh se plaisait à entretenir cette mauvaise image en se définissant lui-même comme « un marchand de violence ». Chang Cheh se distingue des autres grands cinéastes de wu xia pian. King Hu privilégie l’esthétisme et la philosophie et Liu Chia-liang les chorégraphies martiales, tandis que Chang Cheh donne libre cours à ses obsessions sadiques. Il invente un fétichisme de l’arme blanche et abuse des métaphore sexuelles organiques, comme l’amputation des membres ou les jets de sang.
Une dizaine de ses films comptent parmi les chefs-d’ uvre du film d’arts martiaux et ont fortement influencé Tarantino pour le carnage final de Kill Bill Vol. 1. Le passage en noir et blanc au début du combat est une reprise des Disciples de Shaolin (1975), idée qui signifie la mort et le devenir fantomatique du personnage chez Chang Cheh, clin d’œil virtuose chez Tarantino… Quant au nombre impressionnant d’assaillants qu’Uma Thurman coupe en morceaux, il évoque le monstrueux morceau de bravoure de La Rage du Tigre (1972), le film le plus connu de Chang Cheh, dans lequel un sabreur manchot extermine une armée à lui tout seul.
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