La virtuosité en ligne claire d’Hong Sangsoo surplombe un Festival de Locarno où plusieurs auteurs attendus ont déçu.
A l’heure où s’écrivent ces lignes, on ne sait pas encore qui recevra le Léopard d’or de cette 68e édition du Festival de Locarno, mais on sait qu’il aura cette année souvent mis en avant une idée du cinéma comme spectacle vivant, brut et corporel, avec des dispositifs aux accents fortement théâtraux (Cosmos d’Andrzej Zulawski, Chevalière d’Athina Rachel Tsangari), des documentaires squelettiques, livrés crus, sans affèteries (No Home Movie de Chantal Akerman, O futebol de Sergio Oksman) et même de pures adaptations de pièces (Dom Juan de Vincent Macaigne).
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Andrzej Zulawski finit par lasser
Au sein du Concorso internazionale, plusieurs auteurs attendus n’ont hélas que trop modérément satisfait les attentes. Inactif depuis quinze ans, Andrzej Zulawski met en place avec Cosmos un climat de mystère fantasmagorique dans une petite pension de famille où se succèdent d’étranges événements (animaux pendus disséminés dans le jardin comme des mauvais présages).
Son extravagance d’ensemble jouit d’une belle arythmie, avec des sortes d’accélérations soudaines et des pointes d’humour grivois qui le piquent comme une guêpe, mais l’impression que le scénario est écrit par le professeur Tournesol finit par vraiment lasser.
La weird wave grecque
Chevalière d’Athina Rachel Tsangari répète quant à lui l’ordinaire de la weird wave grecque : une expérience sociale en huis clos qui organise la vie de ses cobayes selon un ensemble de règles fantaisistes. Ici six hommes dans la force de l’âge, en croisière sur un yacht, s’adonnent à un jeu dont l’issue doit désigner parmi eux le “meilleur en tout” suite à une série d’épreuves allant de la vitesse de montage d’une étagère Ikea au meilleur bilan de santé, en passant bien sûr par la plus imposante érection.
Par là, ce petit théâtre de la rivalité masculine remonte à un très primitif instinct de survie borné au sexe et à la violence. Malheureusement, Tsangari aurait pu faire le même film avec des rats de laboratoire : son cinéma se complaît dans un esprit d’observation clinique, de réalisatrice-entomologiste, et ne dégage presque aucune émotion.
Le poignant journal filmé de Chantal Akerman
On ne peut pas en dire autant du No Home Movie de Chantal Akerman, poignant journal filmé d’une fin de vie : celle de la mère de la cinéaste. Emaillé de longs plans presque vides (pièces désertes, vues banales depuis la fenêtre…) s’accordant peu à peu à l’écoulement silencieux du temps dans ce modeste appartement bruxellois, le film livre sans le moindre apprêt quelques fragments de ce couple mère-fille débordant de prévenance et de complicité.
Les plans sont faits sans l’idée d’en tirer plus tard un film, ce qui se ressent puissamment à l’écran : la mort ne guette pas, le film de deuil n’est pas un film de fossoyeur – ce qui n’est pas aussi sûr dans O Futebol de Sergio Oksman, qui suit peu ou prou le même programme.
Hong Sangsoo atteint la béatitude du conteur
Le grand film de cette 68e édition est celui d’Hong Sangsoo. Le Coréen fait son retour en Suisse avec un film dédoublé, qui raconte deux fois la même histoire (la parade amoureuse d’un réalisateur et d’une jeune peintre) en y insérant scène après scène de légères variantes qui font pencher la barque d’un côté ou de l’autre.
Le jeu des sept erreurs invite sans cesse à la superposition mentale des deux parties du film : tel mot prononcé ici, tel geste fait là inclinent l’histoire dans un lacis de causes et d’effets ingénieusement ramifiés. Le film se donne comme un bac à sable narratif où peuvent fleurir toutes les issues possibles du scénario, flottant bienheureusement entre ses deux points d’attaches, cette jeune femme et cet homme plus âgé qui se séduisent si maladroitement qu’ils semblent tout faire pour s’éviter. Avec ce Right Now, Wrong Then, Hong Sangsoo s’élève à une sorte de béatitude de conteur, un volètement infini du récit qui divague librement sans plus jamais retomber à terre.
Une adaptation décevante de Dom Juan par Vincent Macaigne
Dans la section Cinéastes du présent, l’acteur et metteur en scène de théâtre Vincent Macaigne signe sa première réalisation en long métrage avec Dom Juan, une adaptation où l’auteur semble malencontreusement croiser le fer avec Molière, contrer le texte classique par une didascalie contemporaine, en s’appropriant Dom Juan comme un fêtard révolté aux jérémiades inaudibles.
Noyé sous un tsunami d’accessoires et de décors, le film fait l’effet d’un dynamitage de la pièce où tout vole en petits morceaux que Macaigne s’amuse à réagencer : même la parole, criée, décomposée, broyée, y apparaît dépouillée de sens.
Judd Apatow et Amy Schumer : raffinés et inventifs
Enfin, on aura pu découvrir dans la programmation hors compétition de la Piazza Grande le très attendu Crazy Amy, premier film que Judd Apatow réalise sans en avoir écrit lui-même le scénario. Il est signé Amy Schumer, qui s’aventure dans un récit de rédemption amoureuse à l’esprit bien éloigné des capsules trash dont la comédienne est coutumière.
Un conte moral où le couple Schumer/Apatow fait preuve d’une touchante minutie, ménageant à chaque personnage des subtilités d’expression et de psychologie qui tissent peu à peu un grand ouvrage mélo autour d’une histoire en apparence simple, digne d’une production James L. Brooks.
Quant à la qualité comique du film, elle rétablit de façon éclatante la souveraineté d’Apatow sur le genre : un raffinement insoupçonné (moins outrancier que les derniers films du cinéaste) couplé à une inventivité d’écriture qui produit de vrais coups de génie, et une finition haute couture (notamment au montage)– on est entre les meilleures mains qui soient. A découvrir en salle à l’automne.
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