Réactualisée a minima, la troisième adaptation de la saga SF se distingue par sa direction artistique et l’incarnation magnétique de Timothée Chalamet.
Qu’est-ce qui anime Denis Villeneuve ? Après une poignée de thrillers et de drames malins, un très bon policier (Sicario, 2015) et un excellent film de science-fiction minimaliste, (Premier Contact, 2016), le réalisateur s’est donné pour mission depuis deux longs métrages de revisiter des œuvres majeures de la SF dans une perspective qui a, au premier abord, plus à voir avec l’enluminure qu’avec le désir d’en donner une version personnelle ou d’en dépoussiérer les enjeux. Après Blade Runner 2049 (2017), voici donc son adaptation de Dune, trente-sept ans après celle, décriée, de David Lynch, et quarante-quatre ans après le projet avorté d’Alejandro Jodorowsky.
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Du point de vue du récit, la version de Villeneuve est plutôt proche de celle de Lynch. Ses seules modifications sont d’ordre inclusif : deux rôles, dévolus à des hommes blancs dans le film de Lynch, ont ici été octroyés à une femme noire et à un homme d’origine asiatique. On sent également qu’un second opus serait davantage tourné vers le personnage de Zendaya, teasée tout au long du film. À peine Villeneuve a-t-il resserré le récit autour de la relation entre Paul et sa mère. On aurait surtout aimé que le cinéaste apporte un regard plus affirmé et moins impérialiste sur ce récit qui convoque un imaginaire colonialiste, métaphore à peine voilée de notre monde.
Cette épice sacrée, qui n’est présente que sur Dune, c’est évidemment le pétrole ; les Fremen et leur culture orientalisante, ce sont les populations locales du Moyen-Orient. Quant à celles et ceux qui les envahissent, on pense évidemment aux Américain·es d’un côté, dans le beau rôle de la maison Atréides et de leur Messie blanc, et à Daech pour les Harkonnen. Un plan du film, le plus étonnant, et qui n’est pas du tout présent chez Lynch, y renvoie directement. On y voit un commandant Harkonnen décapiter à la chaîne des soldats à genoux. Sauf que Villeneuve floute à ce moment-là subitement son image, comme s’il n’assumait pas complètement la violence de celle-ci et son analogie.
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Une très longue mise en place
Si le film que Jodorowsky aurait fait à partir du roman de Frank Herbert aurait sans doute ressemblé à un fantasque carnaval, celui de Lynch avait plus à voir avec le freak show. La version de Villeneuve, elle, est un opéra, paradoxalement, et à plus d’un titre. Paradoxalement car la Voix, cette arme secrète que détiennent Paul et sa mère et qui leur permet de contraindre la volonté de celles et ceux qui l’entendent, y est très peu présente. Et à plus d’un titre car, comme l’opéra, Dune est un film qui se soucie plus de son exécution technique que de son récit. Simplifié, le scénario reprend les événements des deux premiers tiers du film de Lynch pour les étirer et garder en réserve la possibilité d’un second opus en cas de succès public. On a donc légèrement l’impression d’assister à une très longue mise en place, une suite de tableaux visuellement à couper le souffle mais évidés de leur substance narrative.
Comme l’opéra également, Dune s’apprécie en tant que synthèse de différentes formes d’expressions artistiques. Les costumes, les décors, les effets spéciaux, la lumière, la mise en scène, le jeu des acteurs et actrices sont d’un raffinement et d’une perfection d’orfèvre. Dune est d’abord cette addition de savoir-faire techniques, un grand film de direction artistique. Mais il ne serait qu’une somptueuse vitrine si l’un de ses talents ne s’élevait pas au-dessus des autres, pour donner du relief à l’ensemble.
Ce génie-là, c’est celui de Timothée Chalamet, fascinant à regarder deux heures et demie durant. Là où le corps à l’époque encore poupon de Kyle MacLachlan donnait au prince de la maison Atréides des airs d’ado attardé, la silhouette décharnée de Chalamet lui donne un aspect d’oisillon affamé. Il y a quelque chose de bouleversant à observer le poids que le film/le récit fait peser sur les frêles épaules de Tim/Paul. Cette incarnation rend passionnant ce premier blockbuster d’auteur du monde d’après.
Dune de Denis Villeneuve, avec Timothée Chalamet, Zendaya, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac (É.-U., Can., 2021, 2 h 36). En salle le 15 septembre
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